RESILIENCE.S

Je ne pensais pas qu'un jour, j'aurais l'aptitude de poser les mots sur mon passé...

Si je suis en capacité de le faire aujourd'hui, c'est au prix d'années de silence, de souffrances et d'isolement ...

J'étais seule avec mon tourment ... Seule avec mon secret ... Seule avec ma tristesse ...

Cet appel à la pudeur ... pour préserver les autres bien plus que moi en réalité !

***

Hier, j'ai croisé mon agresseur ...

Hier, j'ai croisé mon agresseur, cela fait deux fois en deux mois ...

Hier, j'ai croisé mon agresseur, cela fait quatre fois en un an ...

Pourquoi, je compte les fois où je le croise ... parce que ce sont des faits marquants pour moi ...

Entre 2001 et 2017, je n'avais pas vu mon agresseur, la dernière fois c'était en janvier 2004 à la Cour d'Assises de Pontoise...

Mes souvenirs pour certains sont très précis ... d'autres très flous ... mais ils sont là !

Après le procès qui a duré une journée, il a été emprisonné pendant 8 années pour les faits qu'il avait commis sur ma personne ...entre autre.

A compter de cette période, le sachant derrière les barreaux, je savais que je ne le croiserai pas ou plus.

Ce n'était pas la liberté car à 22 ans, je me suis retrouvée à avoir à me réparer ... à vivre ... à continuer mes études dans une société qui ne m'a jamais donné les solutions pour me protéger, me guérir et aller mieux ...

Depuis 2011, ma vie est suspendue à ces moments ...

Depuis 2011, mon agresseur jouit de sa totale liberté !

C'est normal me direz-vous ???

Je ne sais pas ...

Et moi dans tout cela ... qu'est-ce-que JE deviens ?

Que devient ma peur ? mes angoisses ? ma terreur ?

Et voilà que je me mets à le croiser dans mes simples déplacements ... avec mes ami.e.s ... seule ... à n'importe quelle heure ... du lundi au dimanche ...

Ma vie ne sera jamais sereine ... je suis toujours sur le qui-vive ... il peut surgir à n'importe quel moment ???

Pendant son incarcération, je n'en faisais pas grand cas tellement la probabilité de le croiser était pour moi impossible ...

Il faut savoir que l'administration pénitentiaire ne prévient pas les personnes victimes de la sortie de leurs agresseurs ...

C'est normal me direz-vous ???

Je ne sais pas ...

De mon côté, j'appelais régulièrement la maison d'arrêt pour savoir à quel moment allait arriver le moment de sa libération ... ne serait-ce que pour me préparer psychologiquement ...

Le moment, CE moment est arrivé et voilà celui où je commence à compter le nombre de fois où je le croise depuis un an ...

Ces moments sont des instants troublants... où je sens que mon cœur bat à tout rompre ... où presque tout s'arrête ... le moment se fige ... en fait il n'y a que moi qui me fige, le monde et LUI continuent d'être en mouvements ... c'est moi qui m'arrête ... j'immortalise l'instant dans ma mémoire, j'enregistre le moindre détail (ses habits, des signes particuliers, l'endroit) !

A chaque fois, c'est le même scénario ... je le vois, je dis à voix haute "c'est LUI" et je m'arrête ...

Ce sont des moments très déstabilisant à vivre ...

Je le reconnais même sans l'avoir vu ... c'est comme si je sentais sa présence même sans avoir confirmation que c'est vraiment lui ... mais je le connais ... je connais sa façon de bouger, son allure, son air ...

Je le vois et lui ne me voit JAMAIS !

Il fait sa vie, il déambule, il vivote, il fume une cigarette ... comment on en arrive à cet état de "décontraction" apparente quand on est en réalité un monstre !

Je suis choquée par le fait qu'il puisse être PARTOUT où je puisse être ...

C'est révoltant et que puis-je y faire ...

Fuckin' rien !

***

Ce statut de victime pour lequel je me suis battue ... pour lequel j'ai dû mettre mon intimité, mes blessures, ma souffrance à nue devant des juges, des jurés, des avocats, la Justice pour que cet individu puisse répondre de ses actes criminels !

Ce statut de victime qui depuis sa reconnaissance en 2004 ne me garantit ni ma guérison et ni ma sécurité ...

Ce statut de victime qui est invisible ... qui est en réalité un titre qui n'a aucune signification si je ne le garde que pour moi, si je n'en parle pas !

Ce matin ... lorsque j'écris ces lignes j'éprouve une énorme tristesse et de la solitude ... je me sens terriblement seule avec mes maux ... je ne sais pas si un jour cela va s'apaiser ... je pense que non... c'est mon sort ... je dois vivre avec ... je dois survivre avec ... je vais mourir avec !

En même temps que je ressens cette solitude, je me sens solidaire de toutes les victimes et survivantes qui se battent quotidiennement pour faire reconnaître les crimes dont elles ont été victimes oui qui ne peuvent pas se battre d'ailleurs !

Je suis avec elles...

Je les vois ...

Je les entends ...

Je les ressens ...

J'ai une pensée également à toutes ces personnes qui sont au contact de ces monstres et qui ne le savent pas et j'ai peur ...

Au-delà du fait que j'ai peur pour ma sécurité, je ne peux m'empêcher au fait qu'il récidive ... qu'il fasse souffrir une autre personne, qu'il brise une autre jeune femme ... et ma révolte monte encore d'un cran !

Je crois que je sens monter les larmes ... elles viennent d'elles-mêmes .... ces moments où je m'autorise à craquer ... même seule sont tellement rares... je me suis construite une carapace ... une contenance... qui parfois ne peut plus tenir et je suis dans un de ces moments ...

Je craque et je suis épuisée ... d'avoir à me battre pour cette vie !

Je trouve la vie tellement injuste ... trop souvent ... pour trop de personnes et il ne me reste que la résilience ...

RESILIENCE !

Ma fidèle compagne ...

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