ENDO-SURVIVOR (partie 1)
Je souffrais depuis des années, de règles affreuses et douloureuses à un point tel que le déroulement de mon cycle menstruel avait une incidence de plus en plus gravidique sur ma qualité de vie. Cette douleur persistante affectait non seulement mon bien-être physique, mais aussi mon équilibre émotionnel et mental, rendant chaque journée plus difficile à supporter. Mais aussi, mes relations sociales et mon travail en pâtissaient considérablement. J’étais fatiguée en permanence, épuisée par cette lutte incessante avec mon propre corps. Dans un état d’anxiété constant, je vivais dans la peur et l’anticipation de la prochaine crise. J’anticipais chaque période de menstruation en calculant leur prochaine arrivée au moyen d’application de suivi de cycle menstruel ou sur mon agenda. Une semaine avant leur venue, je changeais radicalement mon régime alimentaire “je mangeais léger”. Je me retirais socialement. J’évitais de sortir et je mettais en place du télétravail le temps que duraient les insupportables douleurs. Il m’était arriver de devoir annuler certaines sorties ou certains engagements sachant que je ne serai pas en capacité de les honorer. Je cherchais toutes les solutions dans la perspective de limiter les impacts sur ma vie quotidienne.
De façon soudaine, ma santé gynécologique s’est considérablement aggravée. Mes règles ne se sont pas arrêter deux mois consécutifs. D’un coup, elles sont devenues anarchiques, imprévisibles mais toujours autant douloureuses. Après ce constat, et devant l’apparition de ce nouveau symptôme, j’ai été partagée entre inquiétude et prudence. Dès qu’il s’agissait de ma santé gynécologique, j’avais souvent tendance à retarder les consultations ou à m’automédiquer, car, par le passé, j’avais eu à faire face à des médecins qui n’étaient pas toujours bienveillants, ni à l’écoute de mes besoins.
Après plusieurs jours d’hésitation et une douleur qui devenait omniprésente, je décide de me rendre aux urgences gynécologiques de la clinique se situant près de chez moi. Je savais pertinemment que je n’étais plus au stade de symptômes de “simples” règles douloureuses. C’était plus sérieux et j’espérais, malgré ma réticence à consulter, obtenir une réponse médicale précise. Après une courte attente, l’hôtesse des urgences m’explique comment me rendre aux cabinets des gynécologues encore en consultation malgré l’heure tardive. Elle m’informe que je n’ai qu’à me rendre à leur secrétariat et me présenter à la secrétaire médicale et m’assure qu’un médecin sera en mesure de me recevoir.
La question de la gravité de ma santé gynécologique n’a jamais été prise au sérieux. Comme c’est souvent le cas pour les femmes. Sauf pour la reproduction et l’aide à avoir des enfants. On vit dans une République qui fait tout pour encourager la naissance des enfants des citoyens qu’elle favorise.
De plus, la majorité des médecins qui exercent cette spécialité sont souvent des hommes, ce qui peut ajouter une barrière et une malaisance à entreprendre cette démarche médicale. J’avais consulté à plusieurs reprises différents médecins concernant ma santé sexuelle, leur expliquant avec insistance que je pensais être atteinte d’endométriose. Ils/elles avaient toujours nié ou écarté la possibilité que je puisse être atteinte de cette maladie. L’affirmant par le fait que compte tenu du fait que j’avais eu deux grossesses sans complications pour être enceinte, ce diagnostic ne pouvait m’être appliquée.
Aucune investigation plus précise n’avait été entreprise. Je devais donc dealer chaque mois entre prise d’anti-inflammatoires, qui abimaient mon estomac, et doliprane. Je notais pour autant aucune amélioration de mon état ou même une diminution de mes douleurs. Ces mêmes médecins qui avaient été septiques sur l’origine de mes douleurs et qui n’avaient pas pris le soin d’investiguer, m’avaient tous prescrit des pilules contraceptives. Prescriptions qui se sont révélées être des échecs que j’ai arrêté par moi-même car, quand elles ne me rendaient pas malade physiquement, elles agissaient sur mon moral aggravant ainsi ma santé mentale.
A raison, j’avais développé une méfiance envers les professionnels de santé. Je savais, pour m’être renseignée, que 40% des personnes atteintes d’endométriose rencontrent des difficultés à concevoir, tandis que pour les 60% restantes, l’infertilité n’est pas systématiquement un symptôme de cette affection. Ces médecins que j’ai consultés pendant des années n’ont jamais cherché à investiguer si je faisais partie des 60% des personnes atteintes de l’endométriose qui n’avaient pas eu de difficultés.
Un médecin me reçoit. Il doit être à l’approche de la soixantaine. Un médecin old school. Comme je pouvais m’y attendre, il est condescendant. Peu amen et je ressens qu’il fait des efforts ayant constaté qu’il est face à moi, une personne dont le discours est rodé. Malgré mes questions et mon insistance, il ne va pas pourtant plus loin dans son diagnostic ce jour-là. Il m’examine au moyen d’une rapide échographie et décide que les douleurs que je ressens proviennent d’un kyste à l’ovaire gauche qu’il va falloir surveiller. Il m’explique vaguement la différence entre un kyste fonctionnel et un kyste organique. Les kystes fonctionnels disparaissant d'eux-mêmes, il est rarement utile de les enlever. Par contre, en ce qui concerne le cas les kystes organiques, s'ils sont douloureux ou grossissent ou s’ils ont une incidence sur la fertilité des examens sont nécessaires et ils sont retirés. Par contre, il reste taisant sur le fait que mes règles continuent au-delà de la durée normale et sont très abondantes et s’explique les saignements prolongés par le fait de mon âge (je suis à la veille de mes 43 ans et je pourrai ou serai selon lui en péri-ménopause ce qui expliquerait des règles irrégulières). En regagnant son bureau après l’examen, il me refixe un rendez-vous dans trois mois pour la surveillance du kyste. Pour réguler mon cycle, il me prescrit une pilule contraceptive. Tout cela, malgré ma réticence énoncée au début de l’entretien médicale et mon intime conviction que cette prescription ne fonctionnera pas. Il insiste sur sa position de sachant et me garantit que mes règles vont s’arrêter.
En sortant du cabinet, j’appelle ma mère. Perplexe, je lui explique. Après tout, je tente de mettre de côté ma méfiance et je me résigne en me disant : sait on jamais … Je m’arrête à la pharmacie de mon quartier pour récupérer les médicaments prescrits sur l’ordonnance que m’avait remise le gynécologue de la clinique en espérant que je connaitrais un peu de répit.
Les semaines passent et malgré la prise de la pilule et d’un traitement antihémorragique, mes règles reviennent 28 jours après. J’ai toujours été réglée comme une horloge. Ce jour-là, une chape de plomb s’abat sur moi. Heureusement c’est la période des fêtes et je peux passer toute la journée au lit à déprimer sans culpabiliser. Je suis dépitée et ce qui m’étonne le moins c’est que je ne suis pas surprise ! Je ressens un sentiment d’injustice et je me dis que je ne peux plus endurer pareille situation. Je prends mon téléphone, je fais défiler les applications jusqu’à ce que je trouve celle de Doctolib et change le rendez-vous que j’avais dans trois mois au prochain rendez-vous disponible avec le gynécologue de la clinique. Pendant l’attente de ce nouveau rendez-vous, je me traîne. Le temps est suspendu. Nous sommes entre Noël et le jour de l’An. Tout est lent. Je n’ai goût à rien. Je m’avoue mon inquiétude. Il m’est difficile d’admettre que mon corps “me lâche” n’est réceptif à aucun remède. Le fait que je sois hypocondriaque n’aide pas à diminuer mes angoisses. Je me mets à consulter toutes les pages internet sur les maladies gynécologiques potentielles dont je pourrai être atteinte car l’endométriose est le diagnostic qui m’est, encore à ce jour, refusé.
Mon nouveau rendez-vous arrive enfin. Je me trouve dans le cabinet du même gynécologue qui me dit sans tact :
- Mais pourquoi vous êtes revenue si tôt? Je vous avais dit de revenir dans trois mois, c’est la durée utile pour la surveillance d’un kyste à l’ovaire !
Énervée et essayant vainement de garder mon calme, je réponds :
- Je suis revenue car j’ai toujours très mal, mes règles sont apparues à nouveau et ne s’arrêtent pas !
Il me regarde étonné :
- Ah ! Rappelez moi votre âge ?
- 43 ans.
- Vous avez des enfants ?
- Oui, deux ?
- Ils ont quel âge ?
- 20 et 10 ans
- Depuis quand avez vous des règles douloureuses ?
- Depuis leur apparition à l’âge de 13 ans.
- Avez vous des douleurs pendant les rapports sexuels?
- Je ne sais pas … cela fait des mois que je n’ai pas de rapports.
- Pourquoi ?
- Parce que je n’ai pas de partenaires.
- Ah !
Après cet interrogatoire, je lui réponds que je ne partirai pas de son cabinet sans qu’il me prescrive des examens médicaux plus poussés. A ce moment précis, je me dis que les rôles sont inversés et que je devais moi, la patiente, investiguer mon propre diagnostic.
Je le vois réfléchir longuement. Il se résout à me prescrire un IRM et déclare :
- A partir du compte rendu de l’IRM on mettra en place un protocole de soin.
Aussitôt sortie de son cabinet et m’être délestée, à nouveau, de la somme de 84 euros, je cherche un rendez-vous pour un IRM pelvien. Je trouve un rendez-vous dans deux jours. Je prends toutes mes dispositions auprès de mon travail pour être disponible.
Je fais donc l’IRM le jour prévu. C’était la toute première fois que je réalisais un IRM, et je n’avais jamais vraiment imaginé que cela pouvait être aussi bruyant, au point que le son m’a un peu étourdie malgré la protection auditive que je portais. Intriguée par ce bruit fort et rythmé, j’avais demandé au praticien pourquoi c’était aussi bruyant. Il m’avait alors expliqué que le son du caisson était dû aux composants métalliques à l’intérieur de la machine IRM, qui vibraient intensément pendant les différentes phases de l’examen. Il m’a aussi précisé que c’était la raison pour laquelle que les patients devaient impérativement porter un casque et de ne surtout pas porter de bijoux en métal, comme de l’or ou de l’argent, sous peine que ceux-ci ne chauffent et deviennent dangereux.
À la fin de l’examen, il m’est demandé de patienter en salle d’attente pendant que le médecin rédige son compte rendu détaillé. Trente minutes plus tard, mon nom est appelé. Je récupère enfin mes images IRM. Je me réinstalle en salle d’attente pour parcourir le compte-rendu, qui s’étale sur trois pages. Les dernières lignes sont celles auxquelles je suis plus attentive et dont la conclusion est sans appel, claire et alarmante, même pour moi qui ne maîtrise pas le jargon médical :
« Utérus myomateux, avec un myome antérieur intra-cavitaire.
Adénomyose intra-utérine diffuse.
Endométriose sous-péritonéale profonde étendue touchant l'utérus, les deux ligaments utérosacrés, le cul-de-sac vaginal postérieur, il existe également une atteinte de la muqueuse rectale en regard.
Endométriose superficielle ovarienne droite,associée à un hématosalpinx droit. »
Après deux rendez-vous clinique avec un médecin, qui aurait pourtant dû, dès le premier entretien, compte tenu des antécédents que j’avais clairement exposés, ainsi que de mon insistance à bénéficier d’examens médicaux plus approfondis, un diagnostic m’a finalement été posé. Il m’a été détecté une endométriose pelvienne profonde, accompagnée d’une atteinte digestive significative, ainsi qu’une adénomyose, ce qui explique en partie les douleurs et symptômes que je ressentais nouvellement.
Je suis profondément contrariée. D'abord, un mélange intense de colère m'envahit, suivi par un sentiment très douloureux de révolte. C’est une expérience violente d’avoir été ignorée pendant près de 30 longues années, d’autant plus que mes douleurs, persistantes et réelles, n’ont jamais été reconnues ni prises au sérieux, par aucuns médecins à qui j’ai confié ma santé.
Les résultats en mains, je me vois dans l’obligation de reprendre rendez-vous avec ce gynécologue de pacotille afin de lui transmettre les conclusions de l’IRM. Le lundi suivant, à 9h30 précises, je lui tends calmement le compte rendu. Intentionnellement, je choisis de ne rien dire. Je suis bien trop à cran, et je sens que si je prononce un seul mot, je risque de perdre complètement le contrôle et d’exploser.
Il lit les résultats. Me regarde et ose me dire :
- Je comprends pourquoi vous avez mal.
Dans ma tête, je me dis, “sans blague”, cela fait déjà deux longs mois que je lui répète la même chose ! Pourtant, il a fallu qu’il tienne entre ses mains un compte rendu médical officiel pour que la gravité de la situation devienne réellement concrète pour lui. Avant cela ma parole n’avait jamais été valorisée.
Très vite, il me fait comprendre qu’il n’est pas spécialiste dans ce domaine (ouf, je n’aurais pas souhaité être suivie par lui) et qu’il est impératif que je prenne immédiatement un rendez-vous avec un chirurgien spécialisé dans l’endométriose. Il insiste sur le fait que l’atteinte digestive observée est particulièrement préoccupante et qu’une intervention chirurgicale est nécessaire dans les semaines à venir pour éviter toute complication supplémentaire.
Il m’écrit une lettre de recommandation à peine lisible destinée au confrère, qui prendra en charge la suite de mon dossier médical. Il conclut finalement en me disant :
- Bon courage.
Je fuis littéralement de son cabinet soulagée à l’idée de ne plus avoir à le reconsulter.
Je suis encore dans l’enceinte de la clinique, entourée par l’agitation ambiante. Des patientes, dont certaines enceintes, attendent d’être accueillies par leur médecin, que je me mets déjà à la recherche d’un chirurgien ayant pleinement pris conscience de la gravité de ma situation. Le temps me manque pour digérer cette nouvelle. Je ressens une pression intense qui m’oblige à réagir rapidement, sans laisser place à la spéculation. C’est ce sentiment d’urgence qui domine entièrement mon esprit à cet instant.
Je trouve un rendez-vous pour le lendemain avec un spécialiste de l’endométriose dans un hôpital parisien réputé et bien connu pour son expertise. Je google rapidement le nom du médecin afin de mieux comprendre son parcours et prendre connaissance de son profil professionnel. Je constate qu’il intervient régulièrement sur le sujet de l’endométriose et qu’il a participé à des différents podcasts concernant la santé gynécologique. Il est également l’auteur d’articles parus dans des revues médicales. Je continue, de plus en plus curieuse, de parcourir son profil et je lis qu’il intervient également dans le cadre de chirurgie de réassignation sexuelle, ce qui finit de me convaincre.
Avant de me rendre au rendez-vous, je me suis informée encore plus précisément sur l’endométriose pour aller plus loin sur le sujet que je connaissais déjà.
Il y existe 3 formes d’endométriose. Elles ont été définies pour la pratique clinique de l’endométriose et publiées par la Haute autorité de santé et le Collège national des Gynécologues et Obstétriciens de France (CNGOF) en 2017 :
l’endométriose superficielle (ou péritonéale) qui désigne la présence d’implants d’endomètre ectopiques localisés à la surface du péritoine*,
l’endométriose ovarienne : l’endométriome ovarien est un kyste de l’ovaire caractérisé par son contenu liquidien couleur chocolat,
l’endométriose pelvienne profonde (ou sous-péritonéale*) correspond aux lésions qui s’infiltrent en profondeur à plus de 5 mm sous la surface du péritoine. L’endométriose profonde peut toucher typiquement les ligaments utérosacrés (50 % des cas), le cul-de-sac vaginal postérieur (15 %), l’intestin (20-25 %), représenté majoritairement par la face antérieure du rectum et la jonction recto-sigmoïdienne, la vessie (10 %), les uretères (3 %) et au-delà de la cavité pelvienne, le sigmoïde, le côlon droit, l’appendice et l’iléon terminal pour les localisations les plus fréquentes.
Il existe également des formes d’endométriose extra pelvienne (endométriose diaphragmatique et thoracique notamment).
Encore aujourd’hui, l’endométriose est diagnostiquée, souvent par hasard, avec un retard moyen de sept années pour un diagnostic définitif. Pendant cette moyenne de 7 ans, la maladie a, malheureusement, le temps de causer des dommages à différents organes. C’est une maladie évolutive. Les médecins spécialistes de l’endométriose estiment que la maladie toucherait 1 personne menstruée sur 10. Ce chiffre concerne les personnes pour qui le diagnostic a été posé. Il est donc très probable que ce chiffre soit minimisé ne prenant pas en compte les personnes en errance médicale ou qui n’auraient pas été encore diagnostiquées.
Je suis également atteinte d’adénomyose. L’adénomyose utérine correspond à la présence de glandes de l'endomètre* et du stroma* de la musculature utérine. Les symptômes comprennent des saignements menstruels abondants, une dysménorrhée et des douleurs pelviennes. Le diagnostic repose sur un examen pelvien (IRM) qui détecte une hypertrophie diffuse de l'utérus. La taille normale d’un utérus est d’environ 7 cm de longueur et 5 cm de largeur (dans ses dimensions les plus grandes). Mon utérus avait doublé de volume et mesurait en longueur 12 cm, à titre de comparaison.
Le traitement privilégié contre l’adénomyose repose sur les médicaments hormonaux (pilule ou prise d’hormones) ou l'hystérectomie.
Le diagnostic de l'adénomyose est le plus souvent détectée au cours du bilan d'une endométriose, de fibromes ou de douleurs pelviennes. Les symptômes habituels de l'adénomyose utérine sont des saignements menstruels importants, une dysménorrhée, et une anémie (anémie depuis au moins 20 ans et ce qui n’a pas alerté mon médecin traitant), ainsi qu’une douleur pelvienne chronique peut également être présente. Les symptômes peuvent disparaître après la ménopause (quand l’utérus est conservé).
Les douleurs intense que j’endurais, je ne les souhaiterais même pas à mon pire ennemi, tant elles étaient insupportables. C’était des douleurs lancinantes qui me terrassaient complètement et se propageaient à travers tout mon corps, sans relâche. J’avais la sensation d’être cruellement poignardée, comme si un couteau invisible effectuait un lent et brutal 360 degrés au cœur même de mes entrailles. Je sentais chaque organe de mon ventre bouger, se tordre dans une atmosphère proche d’un bûcher qui semblait ne jamais vouloir s’éteindre. Le rythme des douleurs était soutenu une journée entière avant l’arrivée effective de mes règles, et je pouvais espérer qu’elles disparaissent au bout du 2ème jour. Ce qui faisait alors 48 longues heures à me tordre de douleurs intenses. Je cherchais, en vain, des solutions pour alléger ce supplice inévitable. Les pires jours, je me mettais à pleurer, submergée par la douleur, et à supplier que cette torture prenne enfin fin. Aucune position, aucun remède ne m’apportait le moindre soulagement, et je me souviens distinctement m’être dit que malgré le fait que j’avais accouché deux fois et connu ce que sont les contractions les plus fortes, je n’avais jamais expérimenté de douleurs semblables à celles-ci. C’est dire à quel point l’intensité était extrême, si les douleurs de mise au monde, pourtant redoutables, étaient pour moi bien moindres en comparaison.
Le lendemain matin, je me retrouve en salle d’attente. Celle-ci est remplie de plusieurs personnes, toutes plongées dans leurs propres pensées ou les yeux fixés sur leur écran de téléphone. Pour passer le temps, je laisse mon esprit vagabonder, imaginant les parcours de vie et les raisons qui les amènent ici, au même endroit que moi. Les cabinets des médecins se trouvent dans un couloir adjacent, alignés les uns derrière les autres. Cette configuration oblige les praticiens à sortir de leurs bureaux pour accueillir un nouveau patient, s’approcher de la porte et annoncer le nom suivant. Mon attente ne dure pas longtemps. C’est enfin mon tour. J’entends distinctement mon nom : “Madame W.” Je me lève, puis je suis le médecin qui m’invite à entrer dans son cabinet. La pièce ressemble à tous les cabinets médicaux classiques. Derrière un bureau, on trouve, côté médecin, une chaise de bureau confortable et, en face, deux chaises simples réservées aux patients. Derrière, une table d’examen se devine, cachée par un paravent bleu. Je m’installe en face du chirurgien, prête à commencer notre rendez-vous. J’ai immédiatement un excellent feeling. C’est un homme d’une quarantaine d’années, portant une blouse blanche sur ses vêtements civils. Il dégage une allure dynamique, pleine d’énergie et de professionnalisme. Il s’exprime avec clarté, ponctuant ses propos de grands gestes spontanés avec les mains, tandis que ses yeux restent attentifs, observant chaque réaction. Il s’adresse à moi avec respect, comme à une égale, avec un discours bien structuré et rassurant. Tout en discutant, il prend des notes à l’aide d’un appareil de dictée. Il consulte attentivement tous les derniers examens médicaux que j’avais réalisés au cours des deux derniers mois. Puis, il me pose des questions précises sur mes antécédents médicaux, ainsi que sur mon parcours personnel. Je me rends vite compte que je suis face à un médecin qui maîtrise parfaitement son domaine. Il est capable de proposer plusieurs protocoles de soin adaptés à ma situation, sans minimiser la complexité des choses, tout en m’offrant diverses alternatives possibles. Cette rencontre m’apporte une grande confiance et un réel sentiment d’être écoutée et comprise.
Enfin, il prend la parole et m’indique :
- Je vous confirme que vous avez bien une endométriose diagnostiquée à un stade sévère, car elle a malheureusement atteint votre tube digestif. Plusieurs protocoles de soin adaptés à votre situation spécifique sont envisageables :
Le premier acte chirurgical consiste en une intervention au cours de laquelle je procède à une résection minutieuse des tissus d’endométriose présents sur le tube digestif ainsi que dans la paroi péritonéale. Par la même occasion, je vous retire le kyste localisé sur votre ovaire gauche, en plus des fibromes utérins identifiés. Enfin, je réalise un nettoyage approfondi de la cavité de l’utérus où l’endomètre est également présent. Cette opération est ensuite suivie d’un traitement médical par la prise d’un contraceptif hormonal dès la sortie, afin de limiter les récidives.
Ce traitement peut s’avérer efficace pour soulager temporairement les symptômes, mais il comporte un risque important de récidive, car le traitement hormonal agit principalement en calmant l’endométriose sans toutefois la guérir complètement. Par conséquent, les lésions peuvent réapparaître et se loger à nouveau dans l’organisme d’ici deux ans, nécessitant ainsi une surveillance continue et des soins complémentaires et éventuellement une nouvelle opération.
Le second choix, est si vous me confirmez clairement que vous n’avez aucun désir de grossesse, une hystérectomie totale accompagnée d’une salpingectomie bilatérale avec conservation des ovaires, ainsi qu’une résection de l’endométriose incluant une résection digestive. Les chances de récidive de la maladie après cette intervention sont quasiment nulles. De plus, votre anémie devrait s’améliorer considérablement car vous ne subirez plus de règles. Cependant, il est important de noter que vous pourriez conserver certaines séquelles ou rencontrer des suites postopératoires en raison de l’intervention qui sera réalisée sur votre tube digestif. Ces conséquences pourraient inclure un transit intestinal modifié, des douleurs lors de la digestion, mais aussi des épisodes de constipation, un transit accéléré, ainsi qu’une intolérance à certains aliments spécifiques.
Tout alors a pris sens !
Après avoir rédigé un compte rendu complet, il me redonne un rendez-vous une semaine plus tard pour que je lui indique la décision que j’aurai prise.
Sept jours plus tard, de nouveau dans son cabinet je lui confie ma décision de subir une hystérectomie totale par laparoscopie. Une intervention certes délicate mais nécessaire.
Il existe plusieurs types d’hystérectomies, chacune adaptée à des situations médicales spécifiques. Celle que je subis, la totale, consiste à retirer l'utérus ainsi que le col de l'utérus pour éviter par la suite que je contracte un cancer du col de l’utérus, ce qui me dispensera d’effectuer un frottis tous les trois ans. Par ailleurs, dans le cadre du protocole chirurgical qui m’a été prescrit, une salpingectomie bilatérale sera pratiquée. Ce geste chirurgical consiste en l'ablation de mes trompes utérines. Cependant, j’ai choisi de conserver mes ovaires et lors d’une hystérectomie, il est possible de préserver les ovaires grâce à la section des ligaments utéro-ovariens, car les ovaires ne sont pas directement en continuité avec l’utérus. Ils sont connectés à celui-ci par des bandes fibreuses qu’on appelle ligaments. Cette technique me garantit de conserver une activité ovarienne normale sans entrer prématurément en ménopause.
Même si l’hystérectomie n’est, à proprement parler, pas le traitement de l’endométriose, elle est fréquemment associée à la chirurgie de l’endométriose chez les personnes souffrant d’adénomyose et ne désirant pas/plus avoir d’enfants, ce qui correspond à ma situation personnelle. Cette intervention chirurgicale me garantit une disparition durable des douleurs après l’opération, offrant ainsi un soulagement significatif de mes symptômes.
Anatomiquement parlant, l’utérus est situé au centre du pelvis, derrière de la vessie et devant le rectum. Il est fixé aux structures voisines, par des ligaments : les ligaments ronds qui assurent sa fixation à l’avant, les ligaments utéro-sacrés qui l’amarrent à l’arrière, les ligaments cardinaux qui le fixent sur les côtés.
L’endométriose profonde dont je suis atteinte, a affecté mon appareil digestif, en infiltrant les différentes couches de la paroi du rectum et du colon. L’atteinte du tube digestif représente probablement la localisation « non gynécologique » la plus fréquente de l’endométriose. Dans la grande majorité des cas elle se situe au niveau du rectum et du colon. Les lésions du tube digestif peuvent être superficielles ou bien plus volumineuses et profondes touchant les couches musculaire. Le chirurgien a choisi d’effectuer une résection segmentaire qui est considérée comme une technique classique de traitement des lésions coliques de toute nature (endométriose, infectieuses, cancer) et permet d’enlever tout un segment de colon avec des marges saines plus ou moins larges autour de la lésion. La résection segmentaire est une technique bien maitrisée par les chirurgiens digestifs, même par ceux qui n’ont pas une expérience particulière dans l’endométriose, car ils utilisent cette technique pour les autres pathologies du tube digestif. La résection segmentaire permet d’enlever tous les nodules, quelle que soit leur taille et plus particulièrement les nodules très volumineux.
Afin de déterminer quelle technique chirurgicale les médecins allaient opter, je dois réaliser une échographie endopelvienne, qui risque d’être douloureuse, pour connaitre le nombre et la localisation précises des différentes lésions.
Malgré mon apparente assurance et ma détermination à trouver un remède à mo mal, l’annonce du diagnostic définitif m’anéantie. La chirurgie de l’endométriose colorectale est généralement complexe et délicate, et le taux de complications, même s’il reste minime est une possibilité qui m’a été clairement communiqué avant que j’accepte le protocole chirurgical.
***
Je suis dans ma chambre d’hôpital où j’y ai passé la nuit. Je devais à être à jeun à partir de minuit et 72 heures avant mon intervention, j’avais reçu les directives pour préparer mon corps comme une “sportive” : aliment proscrits, lavement digestif. Quand l’heure de mon opération s’est approchée, une aide-soignante est venue me voir pour me donner les dernières instructions avant que je ne descende au bloc opératoire : “Je vous donne une blouse à enfiler, ainsi qu’une culotte filet. Voici une charlotte à mettre sur la tête et des bas de contention. Si vous avez du mal à mettre les bas, n’hésitez pas à m’appeler, je suis là pour ça.” Ses paroles, simples venaient tempérer un peu mon inquiétude qui avait grandi à mesure que le temps avait passé.
Après son passage, je n’ai disposé que de quelques minutes pour prévenir mes proches et m’habiller de ma tenue règlementaire que j’ai entendu frapper à la porte. J’ai répondu “Oui”. Un brancardier s’est présenté et est entré dans la chambre avec une démarche lente et assurée. Son visage affichait un air impassible et froid, presque détaché, ce qui a ajouté une couche supplémentaire de stress à la manière dont je vivais le déroulé des évènements.
Il est dans une posture presque robotique. Ses yeux me fixent et malgré ma déconcentration je l’entends me demander “Pouvez-vous me confirmer votre identité ?”. Mécaniquement, je me suis exécutée : “Audrey W”. La réponse lui semblant satisfaisante, il m’a invitée d’un signe de main à m’asseoir sur la chaise roulante avec laquelle il était arrivé. J’ai mis mes pieds sur les repose pieds et nous voilà partis.
Nous traversons lentement l’étage où se trouve ma chambre. Au bout du couloir, nous nous arrêtons devant l’ascenseur. Il actionne le bouton et patientons quelques instants avant qu’il se présente. C’est un ascenseur de service destiné au personnel médical. Les portes s’ouvrent et il me dirige à l’intérieur. L’habitacle y est vieux, gris métallique et un peu bruyant. Le brancardier appuie sur le -1. Nous entamons alors la descente. Soudain, l’ascenseur effectue un arrêt. Une femme y entre en tenue médicale. Elle croise mon regard et m’adresse un bonjour chaleureux. Je ressens une forte anxiété monter en moi, je fais un effort pour sourire et répondre d’une voix à peine audible “bonjour”. Nous continuons tous les trous notre lente descente et arrivons enfin au -1 l’espace dédié aux blocs opératoires.
À notre arrivée, une personne m’attend et m’accueille chaleureusement. Il m’explique, tout sourire, qu’il est aide soignant et qu’il est chargé de veiller à ma bonne installation dans la salle opératoire : “Avant d’entrer au bloc, vous devez patienter dans la salle de régulation”. Il me tend la main afin que je descende de la chaise roulante. Mes gestes sont lents. Aussitôt hors de la chaise, le brancardier la récupère immédiatement, lequel disparaît aussitôt dans un couloir adjacent. Je pénètre dans la salle de régulation et je m’assois sur un fauteuil bleu, assez confortable. L’aide-soignant me couvre délicatement d’un drap jaune où j’y vois inscrit “APHP” brodé en bleu. Il m’indique qu’il reviendra me chercher dans quelques minutes et ressort alors de la pièce, me laissant seule. Je me retrouve assise dans une grande salle, où se trouvent au moins une vingtaine de fauteuils identiques tous inoccupés. Je suis seule, avec l’impression étrange d’être enfermée dans un aquarium. Tout autour de moi, les murs sont peints en bleu et jaune, et des lumières LED plongées dans de l’eau diffusent une ambiance à la fois calme et aquatique, presque irréelle par rapport à ce qui se passe derrière les murs mitoyens.
Ayant pris connaissance de ce nouvel espace, la personne responsable de la régulation me rejoint dans la salle. Elle se présente à son tour avec courtoisie et me demande de confirmer mon identité et l’intervention que je dois subir. Je réponds sans hésitation. Après une brève vérification sur les papiers qu’elle tient en mains, elle me remercie poliment et rejoint son poste. Je peux l’apercevoir, car elle se tient derrière une grande vitre, par laquelle elle peut observée l’intérieur de la pièce qui s’ouvre grand devant elle. Je reste assise, attendant calmement, sans savoir vraiment quoi faire d’autre en attendant la suite. La salle est silencieuse. Même pas une musique d’ambiance et aucun magazine comme cela est parfois l’usage dans les salles d’attente.
Au bout de cinq minutes, l’aide-soignant du bloc opératoire revient. “Madame W” dit-il doucement “vous pouvez me rejoindre”. Un peu surprise, je me lève lentement en retenant précautionneusement le drap qui menace de glisser. Dans ma tête, je me dis quel drôle de process. Je suis pieds nus, avec des bas de contention et dans ma blouse opératoire. Je trouve la situation vraiment très étrange. Il m’invite à avancer devant lui tandis qu’il badge sur sa gauche. Deux grandes portes battantes s’ouvrent devant nous. J’entre alors dans l’espace stérile et très organisé de l’espace opératoire de l’hôpital. À droite et à gauche, je remarque que plusieurs interventions sont en cours simultanément. Les blocs se succèdent, et je peux distinguer la moitié supérieure des chirurgiens en calotte bleue et des équipes médicales concentrées. Je note à moi-même que les couleurs bleu et blanche sont omniprésentes et que je ne sais pas pourquoi ce code couleur est une règle dans tous les espaces hospitaliers. Toutes les personnes que je vois au travers des vitres ont les yeux fixés en contrebas et ce avec attention sur ce qui semble être des patients endormis, bien que la partie inférieure, opaque, ne laisse rien entrevoir des gestes chirurgicaux qui sont prodigués.
L’aide-soignant passe son badge devant une énième salle, et là s’ouvre la porte de la salle dans laquelle je comprends que je vais être opérée. C’est une grande salle lumineuse où s’affaire déjà une dizaine de personnes qui bougent de part et d’autre de l’espace avec concentration. Tous sont gantés de blanc et masqués, revêtus de leurs tenues stériles et de leur protège cheveux. Je les vois ouvrir plusieurs sachets. J’entends le bruit d’emballages plastiques qui se déchirent et d’instruments soigneusement dressés sur, ce qui ressemble à un plan de travail. Un intense sentiment de recul m’envahit. Je ne suis plus certaine de vouloir être là. Je ne panique pas, mais je suis prise d’une profonde et soudaine peur. Qui sont tous ces gens, et quel est exactement leur rôle ? Au plafond, deux grands bras plafonniers sont éteints, attendant le moment opportun pour être allumés. J’aperçois aussi, de chaque côté de la table opératoire, deux grands bras mécaniques imposants. La table d’opération, en réalité, est un énorme fauteuil en skaï bleu marine en position couchée, équipé à ses extrémités d’appuis jambes et sur chaque côté d’appuis bras. Le lit d’opération est soigneusement recouvert d’un drap blanc immaculé. L’aide-soignant récupére le drap jaune qu’il avait soigneusement posé sur moi il y à quelques minutes. Il me prend délicatement la main et m’indique qu’il va procéder à mon installation. Je passe par le côté gauche et recule doucement pour m’asseoir d’abord à l’extrémité de la table d’opération, avant de glisser au fond afin d’être en position complètement allongée. Au niveau de la tête un grand cercle noir en caoutchouc sur lequel je pose ma tête. Une fois couchée, il me demande de lui tendre la jambe gauche, qu’il installe avec soin dans l’écarteur fixé à l’extrémité de l’appui-jambe, qu’il ferme ensuite à l’aide d’une sangle. Il répète ensuite la même opération avec la jambe droite, toujours avec douceur. Il s’assure alors que je suis confortablement installée, me demande de descendre les fesses à la bordure de la table avant de poser sur mon ventre une couverture gonflante et chauffante. La chaleur douce de la couverture semble atténuer l’angoisse pesante qui m’étreint, m’apportant un léger apaisement. L’aide-soignant m’indique enfin que son travail est terminé. Il me dit au revoir d’un ton calme et rassurant, puis s’éclipse discrètement.
Je suis allongée, complètement perdue dans mes pensées et mes émotions. Je reste observatrice, attentive à tout ce qui m’entoure malgré mon trouble intérieur. Je constate la présence de deux grands écrans suspendus au-dessus de ma tête, qui captent mon regard distrait. Alors que mes yeux vagabondent d’un point à un autre, une personne s’approche doucement de moi, se présentant comme l’infirmière de bloc opératoire. Elle m’explique que son rôle est de veiller au bon déroulement de l’intervention en assistant les chirurgiens tout au long de la procédure. Elle m’indique qu’elle doit me poser des appareils de surveillance et des dispositifs de perfusion, et me demande poliment si elle peut procéder à ces installations. Je lui donne mon consentement sans hésiter. Après avoir obtenu mon accord, elle commence par insérer sur ma main gauche deux voies veineuses, des dispositifs médicaux essentiels permettant la mise en place de cathéters au niveau d'une veine périphérique, par lesquels seront administrés l’anesthésie ainsi que l’hydratation nécessaire pendant l’opération. Les voies portent les couleurs en vert et en rose (de nouvelles couleurs) et elle les maintient soigneusement en place grâce à un pansement transparent qui laisse apparaître ma peau. Ensuite, elle colle trois capteurs sur ma poitrine pour, me dit-elle, surveiller mes fonctions vitales et m’installe un brassard au bras droit, dispositif qui contrôlera ma tension artérielle tout au long de l’intervention. Une fois tout cela en place, c’est au tour de l’anesthésiste d’entrer en scène. Elle se présente côté gauche. Je tourne le regard car je suis à ce moment presque immobilisée. Derrière son masque qui couvre sa bouche, je devine une attitude joviale et rassurante. Elle se présente elle aussi clairement à moi, puis me pose plusieurs questions concernant mon état de santé depuis mon arrivée à l’hôpital la veille. Je lui réponds de manière simple et calme que je me sens bien, malgré la nervosité qui monte peu à peu en moi.
Elle me demande avec une sincère curiosité dans le regard : « Qu’est-ce que vous aimez faire pour vraiment vous détendre, quand vous avez un moment rien que pour vous ? »
Je réponds : Je lis, j’écoute de la musique, j’écris et je fais souvent du vélo.
Elle rebondit avec un léger sourire : Ah oui, vous êtes vraiment de ces personnes qui aiment faire du vélo à Paris, c’est impressionnant, bravo !
Je souris doucement et réponds oui, pleinement consciente de ce que cela signifie.
Elle m’indique qu’elle va faire jouer de la musique douce et relaxante afin de faciliter mon endormissement et m’aider à trouver mon calme. À peine avoir prononcé ces mots, je ressens un liquide chaud, presque brûlant, qui traverse lentement ma main. Je n’avais pas réalisé qu’elle avait déjà branché le cathéter d’anesthésie et qu’elle avait entamé la mise en sommeil artificielle. J’essaie désespérément de dire quelque chose, un dernier mot, mais le sommeil m’envahit rapidement, me plongeant dans un état de semi-conscience avant de m’endormir complètement.
Je me réveille enfin du sommeil artificiel dans lequel j’ai été plongée pendant cinq longues heures. Je réalise que je suis en salle de réveil, entourée d’une ambiance calme. Je remarque que je ne peux à peine bouger. Mon corps est à la fois lourd et léger, prisonnier d’une lenteur et une lourdeur qui me sont étrangères. J’ouvre les yeux et je distingue en face de moi, deux personnes habillées d’un t-shirt ample et d’un pantalon bleu foncé. Ce sont les infirmières. Leur poste de travail ressemble à un tableau de bord, ce qui leur offre une vue dégagée sur toute la salle et ainsi que sur les différents patients qui transitent ici après leur intervention chirurgicale.
À côté de moi, à seulement deux lits de distance, un jeune homme est agité. Je le vois bouger sa tête de droite à gauche dans un rythme effréné. Je l’entends marmonner qu’il veut du café et qu’il veut se lever. Devant son agitation, une des infirmières s’approche en lui disant calmement : “ Monsieur, vous êtes en salle de réveil, tout va bien.” Après ces paroles qu’elle voulait rassurantes, elle regagne son poste et s’installe devant un écran.
A ce moment-là, j’ouvre à nouveau les yeux, lentement, en prenant de plus en plus conscience de mon environnement. Je note que mon ouïe, est particulièrement aiguisée plus que d’habitude. Je capte chaque détail sonore avec une précision étonnante. J’entends distinctement chaque bip régulier, chaque variation subtile et presque imperceptible des appareils médicaux qui sont délicatement branchés tout autour de moi, les sonneries intermittentes et parfois inattendues des téléphones qui résonnent dans cette pièce pourtant calme, ainsi que le cliquetis répétitif des touches des claviers des ordinateurs, soigneusement actionnées par les mains concentrées des personnes présentes.
Dans un élan non spontané, je me lance à mon tour. Je ressens de l’appréhension car je veux savoir et je suis décidée à obtenir une réponse : “Ça y est, c’est vraiment fini ? Je n’ai plus d’utérus ?”
La deuxième soignante présente m’adresse d’abord un regard avant de s’avance et prendre la parole avec douceur : “Oui Madame, tout s’est bien passé. Vous devez rester avec nous pendant deux heures pour observation ensuite vous pourrez regagner votre chambre.”
Je ne suis pas certaine qu’elle m’ait vraiment répondu. Je suis totalement désorientée et je suis submergée par un flot d’émotions. Tout va vite dans ma tête et tout se bouscule. Alors rien à voir avec ma question précédente je lui annonce que je voudrais mon téléphone pour appeler ma fille. La veille, elle m’avait accompagnée à l’hôpital avec ma mère. Cela avait un moment difficile pour elle. Je l’avais préparée en amont des semaines avant. Je lui avais expliqué que j’allais être opérée et que je serai hospitalisée pendant quelques jours et absente de la maison. Que l’on pourrait quand même se parler au téléphone et qu’elle pourrait venir me rendre visite. Je l’avais également prévenue qu’à mon retour à la maison, je ne serai pas en forme avant plusieurs semaines. J’avais vu ses yeux se remplir de larmes, témoins de son inquiétude profonde. J’imaginais que pour elle j’incarnais une personne intouchable et qu’il lui était inconcevable que je puisse être malade voire diminuée. C’est donc à elle que je voulais absolument parler pour la rassurer.
À nouveau, la soignante avait fait preuve d'une grande patience, ce qui témoignait clairement de son habitude quotidienne à faire face à des patients souvent désorientés. « Tout à l’heure, Madame, quand vous serez de retour dans votre chambre, » avait-elle précisé calmement, cherchant à me rassurer avec douceur et compréhension.
Je suis prise soudainement de lassitude. J’ignore l’heure qu’il est et je ne sais pas depuis combien de temps je suis en salle de réveil. La perspective des deux heures annoncées me parait interminable. J’avais vraiment envie de téléphoner et l’incapacité à pouvoir le faire me rendais anxieuse. Après un nouveau moment de flottement, je me raisonne et essaie d’occuper mon esprit qui devient de plus en plus conscient. Me vient alors l’idée de soulever le drap qui me recouvre. En levant le léger tissu, je remarque que je ne porte pas de slip. Au niveau de mon ventre, en arc de cercle, cinq pansements blancs. Je comprends qu'ils couvrent les différentes incisions qui ont été faites lors de l’intervention. En bougeant légèrement mes jambes, j’identifie une gêne au niveau de mon entrejambe, une sensation de pression dont je ne parviens pas à me débarrasser. Sur le moment, je ne sais pas vraiment comment interpréter ce ressenti. En prêtant meilleure attention, je constate qu’un tuyau est logé entre mes jambes, mais je comprends pas où il commence et où il se termine. Je trouve cela vraiment étrange. Je me fais la réflexion que mise à part les pansements, je ne remarque aucun autre changement immédiat. Je ne suis pas très rassurée car je ne sais toujours pas si l’intervention que j’ai eue s’est bien déroulée.
Le temps s’écoule entre moment de lucidité et somnolence. Puis, finalement, l’infirmière qui m’avait rassurée à mon arrivée en salle de réveil s’approche de mon lit pour m’expliquer :
Madame W, vous allez maintenant pouvoir regagner votre chambre. Vos constantes sont bonnes et stables. Le chirurgien est très satisfait du déroulement de l’opération malgré sa durée un peu plus longue que prévue. Vous avez bien subi une hystérectomie totale, conforme à ce qui avait été planifié. Il est important que vous fassiez attention vous avez une sonde urinaire en place, ce qui explique la gêne que vous ressentez entre vos jambes, ainsi qu’un drain installé sur le côté droit, qui va à mesure que l’anesthésie va s’estomper vous faire souffrir. Veillez à ne pas les toucher ni les arracher accidentellement. Pour l’instant, vous ne devez pas vous lever de votre lit durant cette première nuit. Ne vous inquiétez pas, le chirurgien viendra vous voir demain matin pour vous expliquer en détail et faire un point sur votre état. Je vous souhaite une bonne continuation et un prompt rétablissement.
Devant son flot d’information, je suis perdue. J’ai capté l’essentiel.
- Merci …Je n’ai plus d’utérus, dis-je en soupirant.
- Oui, Madame, c’est bien cela.
À peine avait-elle eu fini de me parler que deux brancardiers arrivent rapidement à ma hauteur. Ils me saluent tour à tour d’un « bonjour » chaleureux. Curieuse, je leur ai demandé quelle heure il était, cherchant à me repérer un peu dans le temps.
- 19 heures 30 !
- Déjà !
Mon amie L devait m'attendre dans ma chambre, comme nous en avions convenu depuis que la date de mon opération avait été confirmée. Elle s'était engagée à être présente à mon réveil pour m'accompagner. Au départ, j’avais ressenti une certaine gêne, car il y a bien longtemps que personne ne m’avait manifesté une attention aussi touchante. Aussi, je ne voulais pas perturber son organisation familiale. Après mûre réflexion, j’avais décidé d’accepter son offre, en prenant en compte que ma mère n’aurait pas pu être là, étant donné la distance importante entre son domicile et l’hôpital. De plus, il aurait été compliqué de trouver un mode de garde pour ma fille à cette heure tardive. Et, surtout, je savais que voir une personne de confiance après une intervention serait toujours bien plus réconfortant que de vivre ses premières heures seule. La présence d’une personne aimante peut véritablement apaiser et apporter du soutien dans des instants aussi déstabilisants.
Je craignais que L ne m’ait attendu trop longtemps. Cette fois-ci, je rejoins ma chambre dans un lit d’hôpital roulant, entourée par deux brancardiers qui, heureusement, sont très joviaux et réussissent à mettre une bonne ambiance malgré la situation car je ne suis pas en mesure de savoir ce que me réserve les prochains jours. Je leur confie que je suis impatiente de retrouver ma chambre, notamment pour pouvoir récupérer mon téléphone. Celui qui se trouve à ma gauche déclare :
- Nous sommes vraiment tous pareil ! lmpossible de passer une seule journée sans utiliser notre téléphone.
- Ça, c’est vrai, dit l’autre en se plaçant à ma droite, je me bats avec mes enfants, mais au fond, je ne suis pas mieux qu’eux !
Je me rends compte que j’emprunte le même chemin que j’avais pris plus tôt dans la journée, mais cette fois-ci dans l’autre sens, ce qui me donne une étrange impression de déjà-vu. Nous arrivons enfin à ma chambre. L’un des brancardiers ouvre la porte pour y faire doucement passer le lit. Il le place soigneusement en parallèle à celui qui est déjà présent dans la pièce. Ils m’expliquent alors calmement qu’ils vont devoir me transférer d’un lit à l’autre. À cet énoncé j’essaie de comprendre la suite des événements et comment je vais faire ce qui ressemble à un exploit.
Ah, rassurez-vous, on va vraiment vous aider. Vous ne serez pas laissée seule à affronter cela. Je vais tout vous expliquer. Je vais me positionner de l’autre côté du lit pendant que vous essayez doucement de vous glisser sur le bord. Une fois que vous y serez, vous passerez votre bras autour de mon cou, et c’est à ce moment précis que vous devrez faire un effort plus important. Vous allez devoir vous transporter entièrement sur l’autre lit, je serai là pour vous soutenir.
Tandis que je me prépare lentement à faire cette manœuvre délicate, j’aperçois son collègue qui décroche la poche urinaire et le drain, jusque-là soigneusement installés sur les rebords du lit, et je comprends que c’est le signal que le moment est venu pour y aller. Le drap, repoussé méthodiquement jusqu’à mes pieds, je commence à me glisser doucement sur l’extrémité du lit, ce que, malgré ma faiblesse, je parviens à faire assez facilement. Me transporter d’un lit à l’autre se révèle être une toute autre paire de manches et bien plus compliquée. Avec l’aide précieuse du brancardier, je me hisse péniblement avec ma force restante sur mon lit d’hôpital. Un cri s’échappe de mes lèvres quand une douleur lancinante, nouvelle et intense, se fait sentir à l’endroit précis de mon ventre où se trouve l’emplacement du drain.
J’y suis enfin arrivée, mais ce n’a pas été sans peine, ni effort.
- Bravo Madame ! Vous allez maintenant pouvoir vous reposer tranquillement.
Ils commencent à rassembler les draps dans lesquels j’ai séjourné pendant ces deux dernières heures et s’apprêtent à partir. Avant qu’ils ne quittent la pièce, je leur demande si l’un d’eux pourrait me tendre mon portable, car il se trouve sur la table de repas qui a été repoussée au moment de mon installation.
- Pas de problème, le voici Madame et je rapproche la table comme cela vous l’aurez à côté de vous.
- Merci beaucoup !
- Au revoir Madame, et ils s’en vont en prenant soin de refermer la porte.