8 mars 2022 …

Traitement média des violences domestiques et conjugales :

En ce 8 mars, Journée Internationale du Droit des Femmes ET je rajouterais de toutes les personnes minorisées et subissant des violences sexistes de la société, ce serait faible de dire que la manière dont les violences domestiques et conjugales sont traitées médiatiquement me choquent.

En quelques années, nous sommes passé.e.s du silence à une médiatisation qui est, à mon sens, souvent dérangeante.

Les associations féministes ont eu des revendications concernant la manière dont étaient traitées médiatiquement le sujet des violences domestiques et elles ont demandé à plusieurs reprises que :

- la narration se précise et ne se base plus seulement sur des phrases et évènements chocs,

- le récit de la personne victime soit valorisé,

- l'utilisation d'un vocabulaire qui ne culpabilise plus la personne victime et déresponsabilise la personne autrice des actes.

Depuis le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat et de manière plus récurrente depuis le mouvement Me Too (fin 2017), ces sujets apparaissent plus régulièrement dans les médias, seulement l'angle et la manière dont ils sont abordés me font déplorer qu'ils le restent, pour beaucoup, à des fins médiatiques et putaclick !

Pourtant, des personnes sont en souffrance et dans les cas les plus graves en danger imminent de mort.

Des personnes traversent des situations sentimentales et familiales dramatiques et vivent avec la peur et l'angoisse et pour toutes ces raisons, ces personnes ne sont pas du divertissement !

Force est de constater que le traitement médiatique reste souvent bref et occupe une place minime dans l'encart médiatique qui lui est consacré. Le contexte des violences n'est jamais évoqué ni le contrôle et la domination que veulent maintenir les personnes qui exercent les violences quelles soient psychologiques, physiques, sexuelles et économiques.

Il me parait utile de rappeler à ce stade que la violence conjugale est un phénomène de société qui touche toutes les catégories sociales et toutes les cultures, tous les genres et toutes les orientations sexuelles.

Elles sont de plusieurs formes et se manifestent de différentes manières et peuvent s'exercer simultanément :

- la violence verbale : c'est l'intimidation par des menaces mais aussi des interdictions, du chantage, des ordres ...

- la violence psychologique : c'est l'ensemble des actions qui portent atteinte ou essaient de porter atteinte à l'intégrité psychique ou mentale d'une personne. Cette forme de violence est dure à identifier.

La violence verbale et la violence psychologique ont de l'influence sur la peur que ressent la personne qui en est victime et elles participent à la dégradation de l'image de soi.

Ces violences créent une tension qui maintient un climat de peur et d'insécurité qui contraint la personne victime de se conformer aux exigences de son aggresseur.e de peur de voir la situation s'aggraver.

Par exemple : contraindre une personne à prendre des décisions contre son consentement en la menaçant de l'expulser du domicile, de ne plus voir ses enfants, de parler d'elle publiquement, ou lui soustraire ses moyens de paiement etc ...

- la violence physique : c'est l'ensemble des atteintes physiques dans le but de faire mal, c'est la forme la plus identifiable des violences. Les blessures peuvent laisser la victime avec des séquelles physiques (cicatrices, handicap) ou la placer en danger de mort.

- la violence économique : c'est l'ensemble des comportements qui visent à prendre le contrôle économique et professionnel sur une autre personne (confiscation des moyens de paiement, surveillance des dépenses, profilage, mise en place d'une dépendance économique surtout pour les personnes ne disposant pas de leur propre revenu.

- la violence sexuelle : toute action qui a pour but d'imposer par la peur ou par la force son désir sexuel à la personne victime.

Quelque soit les formes que revêtent les violences subies, elles ont toujours pour objectif de détruire la personne qui en est victime.

Cela peut être très perturbant pour les personnes qui ont survécu ou vivent de telles violences de voir la manière dont les médias et le public qualifient ces violences.

Je fais un nouveau rappel en précisant que les femmes ou toutes personnes identifiées comme telles sont les victimes prédominantes de ces violences, ainsi que leurs enfants quand elles en ont.

La victime est très souvent portée comme étant la responsable de la situation et de l'escalade car elle n'aurait pas répondu de façon favorable aux "exigences" de son agresseur.e !

Rendre responsable la victime pour ce qu'elle expérimente cela s'appelle du victim blaming !

C'est dérangeant de constater que la rhétorique de l'agresseur.e occupe une prédominance dans l'espace médiatique jusqu'à ce que la victime prend la parole (quand elle a la capacité de le faire) ...

On a normalisé dans le langage tout le champ lexical autour du harcèlement, du gaslighting, des menaces et du stalking jusqu'à les normaliser et les rendre romantiques :

Quelques exemples édifiants de certaines unes :

- À Dieppe, elle repousse ses avances, il explose la télé de rage ;

- Il suit la même jeune femme dans la rue pendant deux ans ;

- Nice : L’ex-compagnon de la femme victime d’une tentative de féminicide avait été placé en garde à vue deux jours avant;

- Harcèlement conjugal: "Il me fait passer pour une folle" .

Le cycle de la violence :

Le cycle de la violence est composé de trois phases :

- la phase d'accumulation : période pendant laquelle l'agresseur.e emmagasine tous les "griefs" contre sa victime jusqu'à la prochaine phase d'explosion.

- la phase d'explosion de la violence : c'est généralement au cours de cette phase que se produit les violences verbales et/ou psychologiques et/ou physiques et/ou économiques et/ou sexuelles.

- la phase de remords : au cours de cette phase c'est le moment des excuses, de la culpabilisation et de la réconciliation.

Il me semble important de rappeler que les violences domestiques et conjugales agissent comme un cercle vicieux et ne cessent de se répéter, ce qui explique la raison pour laquelle il est difficile de s'en extraire pour les personnes qui en sont les victimes.

Et que s'en sortir n'est pas une question d'argent, de ressources, de capacité et de volonté mais bien de DOMINATION !

La vie de couple, malgré les évolutions sociétales de ces dernières décennies en faveur des femmes, continue d'être représentée comme un idéal.

Très souvent la violence domestique a pris naissance au sein d'une relation amoureuse ou affective.

Lorsque l'on tient compte de ce fait, cela nous permet d'avoir de la compassion et de comprendre la confusion dans laquelle se trouve les victimes dans ce que l'on nomme l'emprise.

Cette emprise se matérialise par des micro-incidents, de l'intimidation et/ou des évènements plus graves et importants qui contribuent à soumettre, rendre obéissante et silencieuse la personne victime des abus.

Carmen Maria Machiado en parle avec détail et précision dans son roman autobiographique "Dans la maison rêvée".

Elle a déploré que lorsqu'elle a fait ses recherches pour documenter son livre, elle n'a trouvé que peu de ressources faisant étant de violences entre femmes lesbiennes, et c'est pourtant ce qu'elle vivait.

Pour se libérer de l’emprise et de la peur, le chemin peut être long. Il s’effectue souvent par étapes et aussi par de nombreux allers/retours.

Ce qui peut être difficile de comprendre et ce qui n'est pas explicité dans tous les articles disponibles dans les divers supports médiatiques, c'est que sortir de la violence est un processus qui peut-être plus ou moins long.

Sortir de l’emprise est d’autant plus difficile que des sentiments différents coexistent tels l’amour, la peur, le renoncement au couple, le renoncement à une vie de famille, le doute, la peur de l’inconnu.

De plus, la personne qui exerce les violences maintient la victime en permanence sous tension et envoie des signaux qui déstabilisent la victime. Les effets de cette violence sont souvent dommageables et même quand il n'y a pas de violence physique, les effets psychologiques sont souvent irréversibles.

Le contrôle et les dynamiques de pouvoir sont les constituantes du processus d’emprise : l’agresseur.e prend, petit à petit, possession de la vie de l’autre personne dans l'objectif de la dominer.

Aussi, les violences domestiques et conjugales sont la manifestation à l'échelle individuelle du rapport de pouvoir qui existe entre les individus.

Bien entendu, je le rappelle de manière logique voire systématique au sein de sociétés où les avantages et privilèges sont dirigés vers les hommes.

Le contrôle et les dynamiques de pouvoir s'ancrent sous plusieurs formes :

- contrôle des tenues vestimentaires,

- des repas,

- des sorties,

- des relations sociales,

- de l'utilisation des réseaux sociaux,

- des appels, du téléphone,

- de la parole,

- isolement de le personne victime de sa famille, proche,

- mise à l'écart de la vie publique.

Marie-France Hirigoyen, Docteure en médecine, spécialisée en psychiatrie dans son livre "Femmes sous emprise, Les ressorts de la violence dans le couple" dit : " En isolant sa femme, l’homme fait en sorte que sa vie soit uniquement tournée vers lui. Il a besoin qu’elle s’occupe de lui, qu’elle ne pense qu’à lui ".

Il arrive que la victime s’isole « d’elle même » pour éviter que la situation ne devienne hors de contrôle si elle venait à en parler à des personnes en dehors du couple.

Au fur et à mesure, la personne victime est dépourvue de toute volonté et son estime d'elle-même diminue, ce qui a pour effet qu'elle devienne plus vulnérable et encore plus à la merci des assauts de son agresseur.e.

C'est de cette manière par le cycle de la violence que celle-ci s'est installée de façon insidueuse, se banalise et s'intensifie.

Les raisons qui peuvent expliquer que les violences s'étendent dans le temps sont :

- la banalisation : la personne victime perçoit les agressions qu'elle subit comme normales ou méritées ;
- l'habitude : les personnes victimes ne se rendent plus compte de ce qu'elles vivent et comme elles sont isolées, il n'y a personne autour d'elles pour attester de leur vécu ou attirer leur attention sur la non normalité de ce qu'elles expérimentent.

- le déni : la personne victime refuse de reconnaitre de ce qu'elle vit. Elle a beaucoup de mal à admettre que la personne qui dit l'aimer et qu'elle aime puisse l'agresser.

Ces situations génèrent un stress et une tension permanente, imposant une adaptabilité de tous les instants de la part de la victime et s'accompagnent de honte, de culpabilité et de peur.

Les conséquences sur la santé sont importantes et selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les conséquences sanitaires sont multiples :

"La violence à l’encontre des femmes peut avoir une issue mortelle, qu’il s’agisse de féminicides ou de suicides. La violence d’un partenaire intime et la violence sexuelle peuvent entraîner des grossesses non désirées, des avortements provoqués, des problèmes gynécologiques et des infections sexuellement transmissibles, dont le VIH. La violence d’un partenaire intime pendant une grossesse augmente aussi la probabilité de fausse couche, de naissance d’enfants mort-nés, d’accouchement prématuré et d’insuffisance pondérale à la naissance. Ces formes de violence peuvent entraîner des dépressions, des états de stress post-traumatique, des troubles du sommeil, de l’alimentation, des troubles psychiques et des tentatives de suicide. La même étude a constaté que les femmes qui avaient subi des violences de la part de leur partenaire intime étaient presque deux fois plus nombreuses à connaître des problèmes de dépression ou d’alcoolisme. Les effets sur la santé peuvent prendre la forme de céphalées, des douleurs du dos, des douleurs abdominales, des fibromyalgies, des troubles digestifs, une mobilité réduite et un mauvais état de santé général … etc. La violence sexuelle, en particulier pendant l’enfance, peut entraîner une augmentation du tabagisme, l’usage abusif de drogues et d’alcool et des comportements sexuels à risque à un stade ultérieur de la vie. On l’associe aussi à une tendance à recourir à la violence (pour les hommes) ou à être victime de violences (pour les femmes).www.who.int/mediacentre/

Plus de 50 % des femmes victimes de violences conjugales font une dépression.

Ces dépressions sont souvent causées par la situation vécue et l'incertitude de l'avenir come la peur des représailles, ce qui va advenir des enfant, la situation financière etc ...

« De nombreuses femmes victimes de violences conjugales présentent les signes d’un syndrome post-traumatique avec des pensées « intrusives », flash back, ou provoquent des cauchemars.

Il peut même se mettre en place des états de désorientation ou de confusion mentale, avec pensées délirantes ou paranoïaques.

On peut aussi constater des troubles réellement psychotiques, la violence conjugale pouvant révéler ou exacerber un état antérieur».

Cette « mémoire traumatique » n'est pas contrôlable.

Elle est le résultat du blocage de la communication entre le cerveau émotionnel en hyperactivité et le lobe préfrontal qui est le centre décisionnel conscient. Cette mémoire n’a pas été intégrée dans le cerveau.

Elle est piégée dans l’amygdale. Elle est le principal symptôme de l’état de stress post-traumatique.

Enfin, il peut être difficile pour les victimes de parler des violences subies.

Dans un certain nombre de situations, les victimes n’ont pas conscience que leurs symptômes sont liés aux violences subies.

C'est pourquoi en 2013, sous l'initiative l’initiative de la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) a été réalisé un court-métrage à la destination des professionnel.l.e.s afin qu'iels puissent détecter s'iels ont en charge une personne qui a subi ou vit des violences.

Ce court métrage permet de repérer les mécanismes de la violence et la prise en charge des personnes victimes.

Pour finir, le traitement médiatique des violences domestiques et c'est ce que je regrette le plus dans le traitement médiatique c'est qu'elles ne s'attardent pas sur les facteurs qui expliquent la perpétuation de la violence alors que plusieurs études ont démontré :

- que les personnes victimes de violences domestiques ont grandi dans un climat familial violent ou ont reçu une éducation rigide ou le père était dominant ;

- les personnes victimes ont dans plusieurs cas une histoire personnelle traumatisante ;

- enfin les chercheur.e.s s'accordent sur le fait que pour expliquer la violence, il est nécessaire de prendre en compte que c'est un phénomène complexe et multicausal.

Pour avoir un état des lieux des violences, du profil des victimes, de leurs conséquences et de leurs prises en charge, je vous invite à écouter le podcast de Jenifer Padjemi, Journalise réalisé à la Maison des Femmes de SAINT DENIS, vous le trouverez ici.

Précédent
Précédent

Pragma (Cycle de l’Amour) …

Suivant
Suivant

Une histoire de self-sabotage !