Mes réflexions sur “Les Rivières” de Mai HUA …

“Si tu ne règles pas les problèmes avec ta mère tu n’en règleras aucun”.

Au printemps 2022, un.e ami.e me propose de l’accompagner à la projection du film de Mai HUA “Les Rivières”.

Je n’avais lu le pitch qu’en diagonale. Ce que j’avais retenu, c’est qu’il s’agissait d’un film familial. De l’évocation et la présence de plusieurs générations, ainsi que le parcours migratoire d’une famille du Vietnam vers la France.

La migration et la famille sont des sujets qui ont mon intérêt, car je considère que ma famille a vécu un parcours migratoire de la Dominique (ancienne colonie anglaise) à la Guadeloupe, puis de la Guadeloupe à la France hexagonale par la suite.

La migration, est dans toutes les vies qu’elle parcourt, importante, selon moi, elle peut être autant porteuse de bénédiction que de maux.

Des maux qui peuvent être relatifs à la fuite d’une situation économique précaire, de conflits armés et de persécution.

Des maux liés à la migration, car elle est parsemée de pertes de repères, de difficultés dans l’apprentissage d’une autre culture, de la capacité à s’adapter à un environnement nouveau tant en terme d’espace, que de climat et souvent de la langue.

Je suis consciente que la migration atteint les personnes de manière différente.

Le point commun que je relève du parcours migratoire, c’est la distance qui s’installe entre le lieu d’origine et le lieu d’accueil.

Même si la migration a été effectuée plusieurs années avant et que les descendant.e.s sont nées sur le sol d’accueil, l’évocation et l’existence de l’ailleurs est omniprésente.

Il n’est donc pas rare que les enfants des migrant.e.s entament CE voyage vers les origines de leurs parents nourrit d’espoir, des réponses attendues et des questionnements en lien avec la découverte de cette terre d’origine.

***

Le film Les Rivières de Mai HUA s’ouvre sur la situation de Mai, parent célibataire de deux enfants, française d’origine vietnamienne qui revient du Vietnam vers la France avec sa grand-mère mourante.

Au Vietnam, sa grand-mère vivait auprès de son grand-père, lui aussi mourant. La famille a décidé de l’y laisser et il reste ainsi sous la surveillance d’autres membres de la famille et de soignats.

A la surprise générale, dès son arrivée en France, l’état de santé de la grand-mère de Mai s’améliore miraculeusement. Elle vit alors auprès de sa fille médecin et fantasque et de sa petite fille qui lui prodiguent toutes les deux des soins et de l’attention.

C’est à l’occasion de l’arrivée de sa grand-mère que Mai se pose des questions sur son histoire familiale, en particulier “une malédiction” qui, elle le pense, toucherait exclusivement les ainées filles des personnes de sa famille.

Les ainées filles seraient des femmes célibataires et mères… tel serait le sort qui leur est réservé.

Ce documentaire se révèle être une archéologie intime de la lignée féminine et une quête de la vérité.

Ce qui interroge Mai, c’est malgré le déchirement de sa grand-mère au moment de quitter son pays et son mari, c’est le soulagement et la vigueur qu’elle retrouve une fois loin de lui.

Le long du film, ce qui est assez spectaculaire, c’est que l’on assiste à une transformation physique des trois femmes (grand-mère, mère et fille).

Mai qui au début était dans une relative “exubérance”, en recherche dans son identité de femme non blanche, de parent séparée et de femme qui souhaiterait rencontrer un compagnon, fonder une famille et trouver un équilibre apparait à la fin apaisée et calme. Cela se remarque par ses tenues vestimentaires, sa coiffure et sa posture.

Sa grand-mère à son arrivée en France était très diminuée aussi bien physiquement que moralement (elle ne parlait quasiment pas) se voit vivre une nouvelle jeunesse malgré son âge avancé. Changement vestimentaire et de coiffure. Son espérance de vie s’est vue allongée grâce aux soins qu’elle a reçus de sa fille et de sa petite fille (en la personne de Mai).

Mai confronte sa mère et sa grand-mère. Elle questionne sa mère sur la raison pour laquelle elle a été la première à quitter le Vietnam et s’installer en France.

Elle souhaite aussi comprendre pourquoi sa mère ne manifeste pas un attachement à son grand-père.

Malgré les non-dits et les secrets, on ressent un grand respect vis à vis des ainé.e.s et de l’autorité.

Pourtant, Mai sent qu’elle doit creuser.

Pour cela, elle interroge sa mère et sa grand-mère sans relâche, persuadée que c’est là où se trouve la clef du sauvetage de sa propre lignée.

Et c’est ce qu’elle fait… pendant six années, elle questionne, interroge, confronte, s’oppose à ses parents.

Elle remet en cause les choix personnels de sa mère, ainsi que les unions que celle-ci a eues et qui, pour certaines, ont exposé Mai à des situations malsaines.

***

Je visionne ce film une année après la sortie du livre “La Familia Grande” de Camille KOUCHNER, où celle-ci dénonce les violences commises par son beau-père à l’égard de son frère.

Ce livre a provoqué, en France, de nouvelles discussions sur les violences intrafamiliales et sexuelles et au ME TOO INCESTE.

Je vois ce film après avoir lu “Un Amour Impossible” et le “Voyage vers l’Est” de Christine ANGOT où celle-ci fait le récit de l’inceste dont elle a été victime de la part de son père.

A chaque fois … mes premières réflexions sont les mêmes … où était les mères ? qu’on fait les mères ?

Et c’est ce questionnement qui reste en filigrane dans le film de Mai HUA …

Pourquoi les mères sont absentes ou n’agissent pas dans ces situations là ?

Pourquoi les mères n’interviennent pas ?

Quand on prend du recul … on s’aperçoit que très souvent, celles-ci sont enfermées dans des dynamiques où leur conjoint ou mari occupe la première place et sont, elles soumises, à leur autorité.

Qu’elles ne possèdent pas de voies/voix au chapitre pour s’élever ou même protéger leurs enfants.

Malgré le fait que le mot victime ne peut leur être attaché, elles se retrouvent être les victimes et les bourreaux d’un système patriarcal qui soumet tout ce qui n’est pas homme synonyme de puissance et d’autorité.

Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec mon histoire familiale en regardant ce film.

Le parcours migratoire, la “malédiction” des femmes de ma famille, notamment de ma grand-mère décédée beaucoup trop jeune… je suis aujoud’’hui plus âgée qu’elle à son décès … elle en avait 41 … je suis âgée de 42 ans !

Son décès a provoqué un séisme toujours retentissant au sein de ma famille. Beaucoup de silences, de souffrances et de regrets.

Aurions-nous pu la sauver ?

J’aime me dire que si j’avais été plus âgée, j’aurais tout fait pour la préserver.

L’absence des hommes ou leur violence omniprésente quand ils ont été là. Mon grand-père … le géniteur de ma mère, polygame, dont les paroles misogynes à l’encontre de ma grand-mère me reviennent dans mes souvenirs… j’étais jeune mais je les ai entendues ces paroles rabaissantes remplies de domination.

Quand je regarde ma famille ce que je vois c’est une errance perpétuelle des enfants et des petits-enfants, de la violence et un travail intergénérationnel à effectuer.

Tout ce qui est décrit et dit dans Les Rivières, je l’ai vécu.

La découverte des secrets de famille qui sont si énormes qu’ils sont terrassant.

Ils m’ont clouée.

M’ont privée de mots.

J’ai eu le cœur sec.

J’ai craint que plus jamais mon coeur puisse aimer de nouveau.

La colère envers tous les membres qui composent ma famille sans exception.

La parole qui est confisquée et encore plus aux victimes.

Et le silence tellement persistant qu’il étouffe et empêche de vivre.

Puis surtout, la répétition de schémas intergénérationnels qui, tant qu’ils ne sont pas évoqués, ne peuvent ni être identifiés et être résolus.

Et d’un coup cette phrase qui est prononcée par la mère de Mai “Si tu ne règles pas les problèmes avec ta mère tu n’en règleras aucun” qui a résonné dès que je l’ai entendue et qui continue de résonner en moi.

Je sais que pour mon cas, pour être apaisée dans ma vie personnelle, il a fallu que j’entame ce travail de réconciliation avec ma mère.

Ce travail n’est à ce jour pas achevé.

Mais j’en ai fait le choix !

Je ne l’ai pas appréhendé comme étant une obligation.

Plutôt comme l’évoque Mai HUA comme un salut de mon âme et celle de mes enfants.

Cet investissement dans la réconciliation a pour objet d’entamer les prochains chapitres de ma vie plus légère, moins torturée, responsable.

Je me devais de me pencher sur la réalité familiale et des moyens dont je disposais pour faire ce chemin vers la guérison.

Ce n’est pas un chemin de tout repos :

  • je reste encore sans certaine réponse,

  • les relations que j'entretiens avec certains membres de ma famille ne sont pas satisfaisantes.

Cependant, avec les années j’ai avancé et j’ai appris à me donner de la valeur, du soin et de l’amour !

A donner de l’importance à mon récit et surtout faire disposer à mes enfants, autant que faire ce peut, d’un environnement où la violence n’est plus la norme.

Mes rivières … c’est ma capacité à ne pas me noyer.

Crédit photo : Adeline RAPON

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