PRIDE

Ca y est … Nous sommes le 1er juin … synonyme du mois de la PRIDE et de la célébration des identités des personnes appartenant à la communauté LGBTQIA ++.

Comme chaque année, le calendrier du mois de juin est chargé en évènements, conférences, fêtes, manifestations et chaque année ce rappel que les droits des personnes LGBTQIAA ++ sont fragiles, sont menacés par les extrémismes et ne peuvent qu’être conservés qu’au prix d’une lutte de chaque instant.

Le rappel important que la première PRIDE était une révolte menée par des personnes trans contre les violences policières qu’elles subissaient et nous leur devons les droits que nous avons obtenus encore à ce jour !

Merci à nos adelphes !

En ce premier jour de juin, ce dont j’ai envie de me rappeler c’est cette rencontre que j’ai faite adolescente, qui, sans pouvoir me l’avouer, à changer la manière dont j’aurai pu concevoir l’amour et l’attirance.

J’étais trop jeune pour comprendre ce qui m’arrivait réellement car en ce temps là (en plein milieu des années 90), les questions de genre, d’identité sexuelle ne sont pas ce qu’elles sont aujourd’hui.

Le vocabulaire s’est enrichi tout comme les identités et les manières de se définir et MERCI encore de pouvoir le vivre.

Je devais avoir entre 13 et 14 ans … j’allais rentrer en 4ème et malgré le fait que j’étais une bonne élève (en 5ème je culminais dans les 5 premiers élèves de la classe), j’avais des difficultés en maths qui n’allaient pas s’améliorer le niveau en classe augmentant.

C’est la raison pour laquelle, mes parents pour anticiper les difficultés que j’allais rencontrer, se sont mis à la recherche d’un prof particulier pour me dispenser des cours de soutien en mathématiques.

La petite annonce est déposée dans les commerces de proximité de ma ville … je me souviens que l’on regardait aussi si nous trouvions des annonces affichées par les étudiant.e.s.

Après quelques appels téléphoniques, l’accroche se fait avec une étudiante qui habite au centre de ma ville (à deux pas de chez moi), elle est étudiante en IUFM et est disponible pour me donner des cours deux fois par semaine.

Le rendez-vous et pris, nous la rencontrons et il est conclu que nous commencerons les cours dès la rentrée de septembre.

A vrai dire, à ce moment où je rencontre N, je ne fais pas très attention à elle.

J’étais très intimidée à l’idée de rencontrer une étudiante car cela me semblait, à l’époque, très impressionnant d’être étudiant.e et, pour tout dire, je m’attendais à une personne super arrogante, imbue d’elle même et assez détachée envers ses élèves de soutien. Je ne sais pas bien d’où me venait cet imaginaire pour le monde étudiant.

Quoiqu’il en soit, N était tout le contraire.

Elle était à peine plus grande que moi… fluette voire maigre … elle avait des tâches de rousseur sur le visage qui réhaussaient sa pâleur… elle s’habillait façon garçonne, salopette, t-shirt, jean large aux couleurs claires, elle était rousse et portait les cheveux très courts et en brosse.

Je me souviens que sa coupe de cheveux m’avait surprise car je n’avais jamais été en contact avec une jeune femme qui avait une allure de garçon.

Une fois l’étonnement passé … j’ai trouvé son allure plutôt plaisante.

Je savais que le choix d’une jeune femme était le plus logique pour mon père, qui voyait la gente masculine comme une menace pour moi, jeune adolescente.

Ce qu’il n’avait sans doute pas anticiper c’est qu’au fond de moi … je ne me sentais pas vraiment attirée par les garçons et cette rencontre avec N, ma prof de maths de soutien, allait confirmer mon affirmation intérieure.

Elle m’intriguait énormément et j’attendais vraiment avec impatience la rentrée pour ce premier cours.

Etant scolarisée dans un collège privé et avec peu de classes, je savais que je n’aurai pas de surprise sur mes camarades de classe qui seraient les mêmes que l’année précédente et donc je trépignais de cette nouveauté dans ma vie de collégienne.

La rentrée arrive … en 4ème C … je suis dans une classe très studieuse … LV1 anglais, LV2 allemand, latin, grec … nous avons les professeurs du collège réputés pour être les plus sévères, les horaires sont denses … nous commençons les cours à 8 h 15 et certaines fois nous finissons à près de 18 heures.

Le seul moment de relâche est le mercredi après-midi que je consacre aux activités sportives. A cette époque je fais plusieurs activités dont le hand-ball, la gymnastique et l’athlétisme. Je me sens épanouie malgré les horreurs quotidiennes que je vis dans mon foyer, mais cela personne n’en saura rien avant plusieurs années.

Mon emploi du temps devenu confirmé … mon premier cours avec N est fixé au samedi suivant. Il a été décidé par mes parents que j’aurai cours deux heures chaque samedi. Soit à notre domicile ou soit chez N.

Les jours où j’aurai cours chez N, j’irai seule. C’est donc dans ces conditions que j’ai mon premier cours.

Je prépare mon sac à dos avec à l’intérieur mon cahier de maths, ma trousse, une règle etc.

J’arrive à la porte vitrée de son logement et je cherche fébrilement son nom sur la liste des habitant.e.s de l’immeuble.

Je trouve son nom N.xxxxx et je sonne. Pendant quelques secondes, qui me paraissent une éternité, j’attends qu’elle me réponde à l’autre bout de l’interphone. Je suis un peu stressée … c’est si rare pour moi de ne pas être, même pour quelques heures, sous la surveillance de mon père (mais c’est aussi pour nourrir son exigence que je sois une élève excellente) et que je fasse la connaissance d’une nouvelle personne.

En l’espace de ces quelques semaines, je me suis demandée, si N serait toujours à l’image que j’avais conservée d’elle quand nous l’avions rencontrée.

Est-ce qu’elle sera aussi sympathique que lors de son entretien avec mes parents ?

J’entends “oui” et je réponds “c’est Audrey”

Elle enchaine “c’est au 4ème, tu trouveras l’ascenseur en face de toi”, je t’attends sur le palier.

Je traverse alors le hall de l’immeuble, je trouve l’ascenseur. J’appuie sur le bouton et il commence sa descente. Une fois-là, j’ouvre la porte, je rentre, j’appuie sur 4 et là commence la lente montée vers N.

Je sors de l’ascenseur et je suis pétrie d’appréhension. Elle m’attend effectivement sur le pas de sa porte. Le hall est grand et dégagé et j’entends sa voix, aussi fluette qu’elle me dire “c’est par là” !

Je me dirige donc vers sa porte … Nous avons toutes deux un mouvement d’hésitation et sans vraiment être naturelles, nous nous faisons la bise.

Passée le pas de la porte, j’entre dans un studio super lumineux bénéficiant d’une grande baie vitrée donnant sur le parvis de la mairie. J’étais passée à cet endroit des milliers de fois sans me douter que d’une, c’était si haut et de deux, c’est ce que l’on apercevait de la ville d’ici.

L’appartement sent super bon et je m’aperçois qu’une bougie d’ambiance brûle sur la table sur laquelle je devine nous nous installerons. Cette odeur contraste tellement avec ce que je connais … c’est doucereux et c’est tellement différent des aérosols que nous utilisons à la maison qui manquent jamais de m’étouffer après chaque diffusion !

N me demande comment se sont passées mes vacances scolaires. Cette année-là, nous étions parti.e.s pour la première fois en vacances mes parents, mon frère, ma sœur et moi dans la maison de campagne d’une tante de mon père. C’était un ancien corps de ferme dans lequel tout était à faire. Nous étions en Normandie et l’évocation de la mer, de la plage, du soleil et des interminables balades en vélo me reviennent et m’animent.

Je crois que mon amour pour la plage est né aussi cet été là … je me suis sentie appartenir à ces lieux que je ne connaissais pas mais qui évoquaient pour moi tant de choses telles que l’oisiveté, la tendresse et la chaleur.

Je lui réponds que tout s’est bien passé. Je n’ai pas osé lui demander comment étaient ses vacances. Trop timide et puis je me suis souvenue qu’elle était plus âgée que moi … Sans vraiment savoir … je pense qu’elle devait avoir 22 ou 23 ans.

Elle me questionne sur ma rentrée et nous enchainons sur mes difficultés en mathématiques.

Nous nous installons à la table où sont soigneusement disposés une petite trousse en peau brun clair, des surligneurs de plusieurs couleurs, des feuilles perforées grands carreaux.

La bougie brule toujours.

Un verre d’eau est posé à la place que j’occupe et voir cette disposition aussi méthodique, cela correspond à mon état d’esprit …. j’aime les choses carrées … j’aime ne pas me sentir perdue et avoir tout ce dont j’ai besoin sous les yeux.

Après avoir confié à N quelles étaient mes difficultés. Elle me propose, comme l’année vient de commencer, de réviser et reprendre des notions de 5ème. Et nous commençons le cours.

Les deux heures sont passées à une allure rapide. Elles étaient agréables. N était très pédagogue. Elle prenait le temps d’expliquer et reprenait quand je ne comprenais pas. Elle illustrait chaque exemple par un exercice qu’elle résolvait et je devais faire un exercice après.

Elle avait un flux de voix super doux. Elle était très patiente et à l’écoute et pendant le cours, j’avais remarqué, car c’est sa rousseur qui avait attirée mon attention, qu’elle avait les yeux bleu orangé et j’ai trouvé cela tellement inédit.

Elle avait une apparence vraiment inconnue et inattendue pour moi. Des doigts fins, une poitrine quasi inexistante, d’une taille moyenne mais pas grande et cette coiffure en brosse vraiment étonnante.

Le cours est fini, nous nous levons et elle me propose si elle peut m’accompagner chez moi.

Je lui dis que ce n’est pas la peine. Mes parents m’attendent et ce n’est vraiment pas loin. Je la remercie et je lui dis à la semaine prochaine.

Elle m’accompagne à la porte et derrière elle, se referme l’antre où je fais le plein d’oxygène.

C’est ainsi que seront rythmées mes semaines. Et chaque samedi, religieusement je me rends chez N pour avoir mes deux heures de mathématiques.

A mesure que les semaines passent, je me sens plus à l’aise à l’approche des heures de maths au collège. Grâce aux cours de soutien, je comprends mieux, les notions abordées en classe ne me semblent plus inaccessibles et mes premiers résultats sont plutôt encourageants.

Tout le monde est content. Pour mes parents c’est la confirmation que ces heures de cours étaient nécessaires et que le travail entamé avec N est fructueux.

Très vite… des cours de mathématiques, les cours de N s’étendent aussi à l’anglais dont j’avais envie de perfectionner.

Quand les devoirs de maths ne sont pas trop prenant, nous consacrons un petit temps, à l’anglais.

Révisions, apprentissage des leçons et du vocabulaire.

J’apprends bien et vite et en mon fort intérieur, je sais que les progrès que je réalise n’auraient pas pu être possibles sans l’intervention de N dans ma vie scolaire.

Chaque samedi, je fais le même rituel. Je sonne, elle dit oui et elle ouvre la porte. Je me dirige vers l’ascenseur seul rempart qui me sépare d’elle à ce moment là et j’arrive à sa porte que je trouve ouverte à chaque fois. Et j’entre pour deux heures studieuses mais suspendues.

Nous échangeons des formules de politesse et elle ne manque pas de s’enquérir à chaque fois comment je vais.

De mon côté, je ne sais pas grand chose d’elle. Je comprends qu’elle vit seule dans son studio. Qu’elle étudie. J’entends par ci par là qu’elle évoque ses parents pour autant, je n’ai pas l’impression qu’ils vivent la région parisienne.

Elle n’évoque jamais d’éventuels ami.e.s, de fêtes ou de sorties.

Elle a l’air super sérieuse et seule. Elle semble prendre soin d’elle. A chacune de mes venues, elle est soignée. Elle ne se maquille pas mais son apparence est toujours très attentionnée. Après les t-shirts, étant donné la saison elle porte des sweats de couleur différentes, mais toujours unis et qui relève toujours sa rousseur et la couleur de ses yeux.

Ses cheveux au fil des semaines sont toujours très courts et je comprends qu’elle doit les couper régulièrement.

Quand j’arrive chaque samedi, un verre d’eau m’attend … sa trousse, ses surligneurs et les feuilles de papier toujours disposés à l’identique … cela me rassure.

C’est un rituel.

Selon Salvador Juan les rituels sont : des séquences de gestes répétées pour s'adonner à différentes pratiques de la vie quotidienne et ordonner sa vie. Ce sont des séquences plus ou moins longues en fonction de la complexité de ce que l'on fait ou de la complexité des appareils qu'on utilise. Ces routines sont aussi bien intérieures qu'extérieures.

Et je comprends que N et moi sommes pareilles. Nous nous adonnons à des rites et c’est ce qui m’a fait me sentir si à l’aise avec elle, dès les premières minutes, car par ces rites, je me suis sentie en sécurité.

Les routines sont pour moi indispensables pour savoir ce que je dois faire et dans quel ordre. Plus encore, elles me sécurisent car elles suivent une route à partir de laquelle je retrouve mon chemin. Toujours selon Salvador Juan, sociologue “On a tous besoin de se créer des routines parce qu'elles nous libèrent d'avoir à prendre en permanence des petites décisions. Cette libération est fondamentale pour passer à autre chose, pour rêver, pour créer”.

C’est ce que je trouvais avec N. Un espace, un lieu de libération où je n’étais qu’Audrey.

Les premières vacances scolaires de la Toussaint approchent, en ce temps-là, nous n’avions qu’une semaine de vacances.

Mes parents ont décidé que j’aurai quand même cours et j’ai été ravie de cette décision. Je n’avais pas envisagé de ne pas voir N même pour une semaine.

J’aurai donc bien mes deux heures de cours de soutien par semaine malgré la période de vacances scolaires.

Les semaines se suivent et une proximité innocente se noue entre N et moi. Elle reste toujours secrète sur ce qu’elle est. Cependant nos conversations s’enrichissent. Je lui parle des élèves de ma classe, de comment se passe ma vie d’élève, je ne m’attarde rarement sur ma vie à la maison et nous commençons à partager nos lectures.

Je saisis alors que nous avons un nouveau point commun en plus de notre affection pour les routines. Nous partageons l’amour de la lecture. N me partage ses lectures, me prête certains de ses livres, m’en conseille certains.

Et je sais qu’aujourd’hui, si je griffe les premières pages de mes livres de mes initiales et de la date cela vient d’elle.

Le souvenir de son écriture fine, dans ses livres, dès la première de couverture tournée où je pouvais lire ses initiales N.X et la date.

En plus des cours, nous nous faisions des cours exposés des livres que nous avions lus en commun.

Je me sentais importante. Pour la première fois de ma vie, je me sentais en sécurité avec un.e adulte, alors qu’à la maison on ne cessait de me dire qu’il fallait que je me méfie du monde extérieur. J’avais envie qu’elle ressente mon intérêt pour elle et le fait que je puisse lui parler des livres qu’on lisait conjointement était un très bon canal.

N était réellement douce. Elle m’a introduite à la gentillesse. A la bienveillance sans retour. Elle était vraiment inspirante et fraiche. Sans le savoir, où surement elle le savait, elle me faisait beaucoup de bien et surtout elle me donnait beaucoup d’espoir.

A ce moment, et même quand j’écris, je ne peux pas dire de façon précise si la Audrey ado tombe amoureuse d’une adulte de près de 10 ans son ainée. Seulement un fort attachement se noue entre nous qui défie évidemment l’espace entre une prof de soutien scolaire et une collégienne.

Je sais que de mon côté toute forme de proximité avec une personne extérieure de la famille était impossible. Mon père était un vrai tortionnaire qui surveillait tous mes faits et gestes et bizarrement les seuls moments où il me lâchait c’était pendant mes heures au collège, ces cours avec N et mes activités sportives… Je pense que l’idée de faire de moi une sorte de “génie” lui plaisait et qu’il savait que cela passait par l’apprentissage et ces espaces correspondaient aux exigences qu’il nourrissait pour moi.

Rien ne me motivait plus que d’avoir les meilleurs résultats possibles … Je n’avais pas d’autres motivations adolescentes car les sorties, les après-midis avec les copaines de classe m’étaient interdits.

Puis … mon père m’avait introduite de façon violente au franchissement de mon intégrité, j’avais donc besoin d’investir des espaces pour me sentir ado. Pour respirer … les cours, le sport me donnaient tout cela.

N aussi. Elle représentait mon ouverture au monde. La possibilité d’une fuite et l’apparition que la vie d’adulte pouvait être ordonnée et vivifiante dans les domaines qu’on choisissaient.

Mes notes étaient bonnes. Malgré ma timidité maladive, j’étais à l’aise dans plusieurs matières, les compétitions sportives étaient des moments de joie et je grandissais tant bien que mal.

Les conversations des personnes de ma classe oscillaient entre qui sort avec qui. Qui est amoureux.se de qui. De sorties au ciné ou shopping. Et moi … je n’avais en tête que mes prochaines de deux heures de cours avec N sans que je puisse en parler.

Personne parlait d’être amoureuse d’une fille alors qu’on était soi même une fille.

Je me sentais à part et tout en même temps je me sentais moi. Je ne trouvais pas que ce que je ressentais était bizarre au contraire, c’était ce qui était le plus proche de ma réalité.

Je me sentais vraiment bien. Je me sentais vibrer et vivante et tout restait innocent.

Même si j’avais eu la permission ou même si cela avait été possible, je ne possédais pas encore les codes pour concevoir une romance avec une fille de mon âge.

Cela me semblait si irréel. J’en rêvais. Je le concevais. Mais je me disais que cela ne pouvait être concret.

Décembre approche et les congés de Noël aussi.

Je sais, par ma mère, que je n’aurai pas cours pendant les vacances.

N prépare ses partiels et avec les fêtes n’aura pas le temps de me donner des cours.

Je suis triste. C’est comme un déchirement.

Comment j’allais faire … moi qui avais si besoin d’oxygène. Je n’aurai pas mes bouteilles.

Je décide de profiter des dernières heures de cours avant la séparation des congés. Je note tous les détails pour solennellement m’en souvenir. Je remarque tous les détails qui m’avaient échappés et que j’avais pris pour acquis !

Et si … à l’issue de ces vacances, je ne revois plus N….

Non … non ce n’est pas concevable.

Le dernier cours arrive. Et je ne peux cacher ma tristesse. Je ne sais pas bien comment cela se décide, mais N me propose que l’on s’écrive pendant les vacances.

Comment je n’y avais pas pensé … je ne pouvais pas penser à cette idée … car je n’aurai jamais osé et puis est ce que ce n’était pas interdit !

Sans attendre je dis oui … très vite je pense mais que vont penser mes parents …

Très sincèrement, mes parents n’ont n’y rien vu d’inapproprié.

Mon père, même si la question n’a jamais été évoquée, n’appréhendait pas N comme une menace.

C’est ainsi, qu’à partir de ces vacances nous commençons une correspondance.

Au départ, celle-ci n’avait lieu que lors des périodes de vacances. Ensuite … elle s’est étendue à n’importe quel moment de l’année.

C’est alors qu’en plus des quelques heures hebdomadaires que nous partagions, par la correspondance que nous échangions avec N, j’ai appris à la connaître.

Et l’étendue de nos points communs s’est allongée.

Je me suis surprise d’être impatiente de recevoir une lettre de N.

Je m’étais auto désignée en charge de la boîte aux lettres pour être sûre d’être la première à voir son écriture, devenue si familière, sur ses enveloppes.

Son écriture si petite et fine qu’il fallait être initié.e pour la lire.

C’était toujours écrit soigneusement. J’aimais lire mon prénom et mon dead name sur chacune des enveloppes.

Ce qui rajoutait à mon plaisir, c’est l’épaisseur des lettres qui me garantissait une lecture de plusieurs minutes.

N écrivait en turquoise … très étrangement cette couleur se rapprochait de la couleur de ses yeux.

N écrivait de longues lettres, où elle me parlait de son enfance solitaire, de ses parents aimants mais qui étaient désarmés par sa tristesse et sa solitude.

N me parlait de ses balades en voiture qu’elle aimait faire. Il me semble qu’elle conduisait une Renault 5 vert … N aimait le vert et aussi le bleu. Ces deux douleurs dominaient chez elle.

Je me rappelle la joie que j’éprouvais en lisant ses courriers et celui que j’avais à lui répondre.

J’ai commencé moi aussi à me confier. A lui dire que je me sentais souvent triste et seule. Souvent incomprise car je devais garder un secret bien trop grand pour moi… mais ça je ne lui disais pas.

Au fil des pages, je comprenais que N était anorexique. Ce qui expliquait sa maigreur. Qu’elle se battait contre cette maladie depuis plusieurs années avec quelques victoires, mais aussi avec quelques rechutes chaque fois plus difficiles à surmonter.

Nos écrits, malgré les confidences que nous nous confions, étaient pleins d’optimisme.

Elle m’encourageait et j’en faisais de même à ma hauteur.

Pour la première fois de ma vie une personne me faisait confiance. Me donnait une fenêtre de lecture sur elle. Une nouvelle fois, je me sentais en sécurité. Je sais qu’aujourdhui ce que je décris peut être assimilé à du grooming*. Mais ce n’était pas du tout cela. C’était la rencontre fortuite de deux personnes qui souffraient chacune à leur manière et nous étions devenues le sanctuaire de l’une et l’autre.

Etonnement, le déroulé des cours ne s’en voyait pas modifier. Toujours les mêmes routines. Mon verre. Ma vue en face de la baie vitrée. Les stylos. Les feuilles m’attendaient.

Toujours le même sérieux, la même application de chacune comme si nous savions que pour garantir que nous puissions continuer à nous voir, la promesse et la conservation de bons résultats étaient la motivation.

On ne pouvait pas imaginer une relâche et que cela se ressente sur mes résultats scolaires.

Inévitablement, le rôle de N serait en suspens et mis en cause.

Donc, nous conservions nos objectifs pour éviter la sanction.

L’année de 4ème est une belle année. Une belle parenthèse dans ma vie d’ado. D’un point de vue extérieur, je donne l’air d’une adolescente en bonne santé, active et équilibrée.

A l’intérieur, un feu me dévore, me consume, me consomme. Malgré cela, j’ai trouvé des endroits de vie où je peux exprimer mon âme, mouvoir mon corps et parfaire mon esprit. Tout ceci me maintient en vie. Tout ceci, me fait espérer qu’un jour tout ce cauchemar prendra fin … mais un jour c’est quand … hein !

Je prends mon mal en patience, étant encore une enfant je suis en contrôle de rien. Etant une enfant violentée par son père … je suis encore plus démunie … je suis prisonnière.

Je n’ai jamais pensé pouvoir avec les capacités ou les ressources de pouvoir m’extirper de cette situation atroce. Je remettais mon sort à une bonne fée. Je ne sais pas si elle me voyait ou m’entendait. Je ne voyais personne qui pouvait défier mon père.

Alors … en attendant de pouvoir sortir de ce cauchemar, je nourrissais mon être de tout ce qui me faisait du bien … et je me suis aperçue que même dans les ténèbres on peut y apercevoir le jour, si on le cherche bien.

L’année scolaire touche à sa fin. De nouvelles “grandes vacances” arrivent. C’est la venue d’une grande et longue pause estivale.

Je passe en 3ème. Au cours de l’année, j’ai débuté une nouvelle amitié avec une fille de ma classe avec qui, nous nous sommes promis, de correspondre pendant l’été. Chouette de la nouvelle lecture pour moi et je le reçois comme un super présage.

L’été était la période dont je redoutais le plus, car en l’absence de cours et d’activités tenus pendant l’année scolaire, j’allais être encore plus à la maison et donc à la merci de mon père que je voulais fuir coûte que coûte.

Comme j’avais 14 ans et que j’étais l’ainée, mon père avait arbitrairement décidé que je ne devais plus autant passer de temps à jouer dehors.

Je passais donc tous les étés recluse à la maison. Avec pour seules activités autorisées la lecture et l’écriture.

C’est pour cela que le confinement de 2020 m’a été aussi insupportable. Il m’a rappelé les moments d’enfermement forcé adolescente. Je ne sortais que si mon père avait besoin que j’aille faire les courses. Mes heures de liberté se comptait dans les moments où j’étais assignée à aller à MAMMOUTH (ancêtre d’AUCHAN) pour faire les courses domestiques accompagnée tour à tour de mon frère ou de ma sœur.

Je me souviens de prendre tout mon temps alors que je connaissais par cœur chaque rayon. Mais pareil à une évadée, je souhaitais jouir de chaque minute dehors.

Nous avions un abonnement à Canal + et c’est de cette époque que ma culture cinématographique a vu le jour. Je regardais tous les films qui m’étaient autorisés.

Je lisais aussi énormément …. une cadence d’un livre toutes les semaines …

Et j’écrivais … dans mon journal intime … mais aussi à ma nouvelle camarade de classe fraichement arrivée pendant l’année de 4ème et à N.

De longues lettres, de longs récits … En y réfléchissant … je me demande bien ce que je pouvais autant écrire. Mon quotidien était plutôt aride, peu riche en activité et pas assez occupé pour remplir des pages et des pages. Et pourtant si ! Mes lettres étaient fournies.

J’en recevais aussi de N. Ces lettres étaient toujours longues. Elle me racontait à quoi elle occupait son été. Elle écrivait beaucoup sur son état et comment elle se sentait. Je percevais que cette période estivale lui permettait de prendre du repos. De se recentrer et se concentrer sur elle.

A mesure que les semaines passaient et que je recevais des lettres de N, je découvrais la raison de son mal être. N était en relation avec un jeune homme de son âge depuis plusieurs années qui était violent physiquement et psychologiquement envers elle. Malgré ma jeunesse, je comprenais et saisissais la gravité de ses écrits car je vivais ces mêmes situations de violence de la part d’une personne de mon entourage.

Je reconnaissais ce sentiment familier, ce dilemme dans lequel nous nous retrouvions attachées toutes les deux sans savoir comment nous en extirper.

Avec le recul … lire ces échanges étaient comme des bombes. J’ignorais que d’autres personnes pouvaient vivre dans la même peur que moi … et voilà que j’apprends que N, ma prof de soutien, dans laquelle j’ai déposée tant d’affection vivait l’horreur dans son intimité.

Je ne savais que faire de ces informations.

Nous gardions tout pour nous… comme dans un sanctuaire dont nous possédions chacune une clef.

Je tirai du réconfort de savoir que pour l’année de 3ème, N serait toujours ma prof de soutien. Cela me réjouissait c’était ma toile de parachute. Mon plan de secours … Mon back-up.

Malgré cette différence d’âge et d’expérience, nous partagions des similitudes sur nos vécus. Et je pense qu’en y réfléchissant, c’est important, peu importe qui l’on est, d’avoir un espace où on peut se confier sans être jugée.

Nous étions tellement différentes. Elle était aussi blanche que j’étais noire. Elle était adulte et moi adolescente. Elle bénéficiait d’une apparente liberté, pourtant elle en était aussi dépourvue que moi.

La rentrée de 3ème pointe le bout du nez. Emploi du temps, routines, sports et cours de soutien.

Pendant cette nouvelle année de soutien, le lien entre N et ma famille est devenu plus proche. Ma soeur m’accompagnait certaines fois à mes séances de cours. N nous avait présentées ses nièces et nous organisions des parties de jeux ma soeur, les nièces de N et moi. Nous étions une “troupe” particulière. Un groupe dans lequel la bienveillance était toujours planante.

J’ai réalisé comme cela pouvait être facile de nouer des liens lorsque les personnalités s’accordent et sont liées par l’indicible.

Je me souviens aussi que N est venue me donner des cours chez moi. Mais c’est arrivé quelque fois.

A la maison, je partageais ma chambre avec ma soeur. Mon bureau se trouvait en dessous de mon lit, j’avais une mezzanine. L’espace était petit mais assez bien agencé pour bénéficier de suffisament de place.

Quand elle venait à la maison, N et moi partagions l’espace étroit de mon bureau. C’était certes moins spacieux que chez elle, mais cela me convenait. A ces moments-là, l’espace était ténu. Nous étions coudes à coudes, genoux à genoux et je pouvais l’observer de plus près. Bien plus près qu’à travers la table de chez elle. Je prenais une attention particulière à regarder ses mains. Fines, pâles, on y apercevait sans peine les veines, les tâches de rousseur y étaient aussi nombreuses que sur ses joues. Quand N me corrigeait, je devais reculer pour ne pas que nos bras se touchent. Sa fine écriture, ronde, pattes de mouche.

Elle m’expliquait avec méthode les notions qui m’échappaient et je l’écoutais toujours avec implication.

J’avais remarqué, que sans être flagrante, que l’apparence de N se féminisait. Elle n’avait pas changé ses tenues vestimentaire. Mais j’avais remarqué qu’elle laissait ses cheveux pousser. De sa coupe en brosse, elle est passée à une coupe qui devenait plus longue les mois passant. Elle avait l’air plus enjouée. Elle restait mélancolique, seulement je ressentais un regain de satisfaction. Elle souriait plus. Sûrement que cela traduisait un changement dans son statut sentimental ?

L’année de 3ème a été plus difficile que la précédente. Je peinais encore en maths quoique moins. Mais de façon générale toutes les matières scientifiques étaient mes talons d’Achille. Je n’aimais pas la biologie, la physique. J’avais en horreur ces matières si bien qu’à chaque heure de ces disciplines c’était une horreur.

N m’aidait comme elle pouvait à m’accrocher… mais se profilait pour l’année de seconde où elle ne pourrait plus m’aider.

Cela s’est confirmé quand à la fin de la 3ème, mes parents lui ont demandé si elle pouvait continuer à me suivre. Avec désespoir, elle a annoncé qu’elle ne pourrait pas. Et là, la tristesse s’est emparée de moi. Quoi l’école allait m’arracher ma bouffée d’oxygène ! Ce n’était pas concevable mais pourtant c’était là.

A la fin de l’année, nous nous sommes fait la promesse de continuer à nous écrire. Ce que nous avons fait. Même si les correspondances s’espaçaient.

Mes parents m’avaient trouvé une nouvelle prof de soutien, dont je me souviens plus du prénom. Le courant ne passait pas avec elle. Je la trouve raide et sèche. Je ne comprenais pas ses méthodes d’enseignement. Mes résultats en maths ont drastiquement chuté. Je n’avais plus la moyenne. Je ne sais pas si nous avions conservé son intervention tout le long de l’année de seconde. Ce que je me rappelle, c’est pour la suite du lycée, je n’avais plus de cours de soutien en maths.

N n’était plus dans ma vie. La nouvelle amie que je m’étais faite en 4ème était partie son père ayant été muté à l’étranger.

Les années de lycée ont été un vrai chemin de croix.

J’y étais solitaire et isolée.

Mon mal être est devenu plus visible. J’étais perdue. Dans un état dépressif constant, que je dissimulais farouchement.

Sans grande surprise, je n’ai pas eu mon bac à 0.25 près et je n’avais pas bénéficié de l’indulgence du jury.

J’avais eu 1 en maths ! coefficient 5 et j’étais en ES ! Do the math … et même si j’avais des notes correctes dans les autres matières ça ne rattrapait pas le manque de points.

Un énorme sentiment d’échec s’est emparée de moi. De honte également et pas un endroit où je pouvais déposer cela.

J’avais le seum, j’avais la rage, je voulais tout casser. Je demeurais prisonnière et la perspective de redoubler la terminale était la traduction que je n’atteindrais (pas encore) la liberté que la vie d’étudiante me promettait.

J’ai redoublé ma terminale dans un lycée public… là tout l’imaginaire que j’avais construit pendant mes années collège s’est effrité. Je suis rentrée dans les rangs. En tout cas, les rangs qui semblaient m’être adaptés. Malgré l’interdit … j’ai eu mon premier petit ami B … mais ce n’est pas allé bien loin. Mon père était toujours présent et je n’avais pas beaucoup de temps libre, ni de liberté.

Malgré cela, cette nouvelle année de terminale a été meilleure.

Je séchais quelques cours. J’avais l’impression d’être une touriste. Mes résultats étaient bons. J’ai eu mon bac… J’ai eu 7 en maths … by myself quelle amélioration !

Je continue le parcours et m’inscris dans une filière “poubelle” de l’université.

N est parfois dans mes pensées. Elle a déménagé. Cependant, elle n’a pas laissé disponible sa nouvelle adresse.

Je m’imagine qu’elle a trouvé un autre compagnon … seule explication.

Ce n’est que plusieurs années plus tard que je la recroise au supermarché de mon quartier où je faisais les courses adolescente. MAMMOUTH est devenu AUCHAN.

Ce jour-là, au détour d’une allée, je croise une silhouette qui semble lui ressembler. Elle est avec un bébé et une dame qui devait être sa mère.

On se croise. On se salue. Elle me présente sa fille …

Je me sens trahie. Longtemps, je me suis sentie trahie par le fait qu’elle ait eu un enfant.

Des années plus tard … je me suis pardonnée d’avoir ressenti de la trahison de sa part car, moi aussi, j’avais commis la même.

Je me suis sentie trahie car j’aimais à penser qu’elle allait réussir, là où moi j’avais échouer, à sortir de ce parcours tout tracé pour chaque jeune femme. De se mettre en ménage avec un homme et faire famille avec lui.

Je n’arrivais pas à me résoudre à penser que malgré les violences qu’elle avait vécues et celles que j’avais subies moi-même, nous pouvions encore faire ce choix … qui est devenu un “non choix” pour moi depuis.

Je n’arrive pas à imaginer où pourrait se trouver mon salut, mon bonheur dans ces unions.

Je voulais autant mon bonheur et ma libération que je la voulais pour N.

Personne n’est libre, si personne ne peut accéder à la liberté, Fannie Lou Hamer en tête.

Il m’arrive de repenser à N.

Imaginer de la recroiser.

Imaginer une vie où nous serions toutes les deux lesbiennes chacune de notre côté et que chacune nous nous racontions nos parcours.

A ce jour … je ne l’ai pas revue … elle appartient au passé … Tandis que ma PRIDE vit chaque jour plus au présent.

*grooming : prise de contact par un.e adulte aux intérêts sexuels avec un.e mineur.e

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Fertilité, Lesbianité, Parentalité !